Si certains secteurs d’activité sont réputés machistes, d’autres attirent davantage les étudiant·e·s LGBT+. Les jeunes talents sont-ils sensibles aux politiques de diversité et inclusion ? Est-ce un critère de choix sur le marché de l’emploi ?
Par Alexandra Tizio
Sans stratégie inclusive, votre entreprise risque de passer à côté de jeunes talents. Selon le baromètre BCG-Têtu publié en 2018, les jeunes diplômé·e·s LGBT+ sont particulièrement sensibles à la culture inclusive d’une structure. Ce critère s’avère être plus important que le prestige de l’employeur, dans leur recherche d’emploi. Néanmoins, il ne suffit pas de brandir des drapeaux arc-en-ciel pour les attirer. Certain·e·s étudiant·e·s, comme Timothé, 21 ans, membre de l’association étudiante LGBT+ Kanon à l’école d’ingénieurs en informatique Efrei Paris, attendent des actions concrètes.
« Certaines sociétés sont très bien cotées sur Great Place to Work, s’affichent hautes en couleur lors de la Pride, et finissent par être attaquées pour harcèlement institutionnel. Je préfère regarder l’historique de l’entreprise », assure-t-il. Théo, en double cursus à l’ESSEC et à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, abonde dans son sens : « Les témoignages de collaborateurs sont beaucoup plus convaincants que la signature d’une charte. S’il y a un problème avec un client qui fait une remarque déplacée, comment l’entreprise réagit par rapport à ça ? Si un voyage est organisé dans un pays où l’homosexualité est sévèrement condamnée, est-ce qu’on peut refuser cette mission sans impact sur notre carrière ? Je vais chercher à savoir comment l’entreprise s’engage. » Pour assouvir sa curiosité, l’étudiant de 23 ans n’hésitera pas à contacter les réseaux de collaborateur·ice·s LGBT+. « Quand ces groupes existent, c’est déjà bon signe. »
Promouvoir les actions auprès des jeunes talents
Heureusement, nombreuses sont les sociétés à appliquer un dispositif de sanction en cas de discrimination. « Les entreprises avec une politique de diversité et inclusion ne peuvent la promouvoir que par les mots. Mais c’est normal qu’elles ne fassent pas de publicité sur les sanctions », souligne Nicolas Pirat-Delbrayelle, créateur de développement inclusif pour TÊTU Connect.
Au sein des écoles de commerce, les rumeurs vont bon train. « Il y a eu des problèmes d’homophobie latente et de harcèlement dans les banques d’investissement. Les boîtes de conseil ont meilleure presse auprès de la communauté LGBT+ », remarque Alexis*, 21 ans et membre du bureau de l’association In&Out à HEC Paris. Et Théo de glisser : « Si l’on compare avec la mode et le luxe, il est moins facile d’assumer son homosexualité dans les secteurs du BTP, de la finance ou de l’immobilier. » Pourtant, certaines banques françaises font partie des entreprises précurseures en matière d’inclusion.
Théo, membre de l’association Unite à l’ESSEC, peut lui-même en témoigner : « Paradoxalement, on a organisé plus d’événements avec des entreprises de secteurs réputés machistes qu’avec celles qui, dans l’imaginaire collectif, sont plus inclusives. » Une communication essentielle, selon Nicolas Pirat-Delbrayelle. « La finance est un monde conservateur, et on s’imagine que c’est incompatible avec l’homosexualité, la transidentité et les LGBT+ en général. C’est faux », insiste-t-il avant d’ajouter : « Ces préjugés-là continueront à avoir la vie dure tant que les entreprises ne feront pas l’effort de promouvoir leur politique de diversité et inclusion. »
Entreprises à taille humaine : fantasme ou atout ?
Toujours selon le baromètre BCG-Têtu de 2018, les jeunes talents LGBT+ se méfient des grandes entreprises. 58 % souhaitent travailler au sein d’une multinationale, contre 69 % des non-LGBT+. Alexis vise les PME pour le contact humain. « C’est peut-être un fantasme, mais je pense qu’en cas de problème, on peut échanger plus facilement pour avancer vers de meilleures pratiques. Dans les grandes entreprises, je suis moins à l’abri que la structure fasse quelque chose à l’encontre de mes valeurs », déclare-t-il. Pourtant, les petites entreprises ont du chemin à parcourir, concernant les sujets de diversité et inclusion. D’après le dernier baromètre BCG-Têtu réalisé en 2020, dans les structures de moins de 1 000 employé·e·s, seulement 1 LGBTQ+ sur 4 considère que son entreprise a fait des progrès au cours des dernières années. « Plus l’entreprise est petite, plus elle est concentrée sur le business, et elle a moins de moyens à consacrer à la QVT (qualité de vie au travail, NDLR) », explique Nicolas Pirat-Delbrayelle.
Indépendance, travail en libéral… ce que veulent les jeunes
En 2018, les entreprises du secteur public et celles à but non lucratif se révélaient plus attractives. Lucie, 22 ans, est en troisième année à l’École nationale vétérinaire d’Alfort ainsi qu’à l’ENS. Bisexuelle, elle est vice-présidente de l’association étudiante Alfier.e.s Véto et souhaite, à terme, décrocher un poste dans un laboratoire public. « Dans l’asso, personne ne veut s’orienter dans le privé. La plupart veulent faire du libéral. Après, est-ce que c’est lié au côté safe, je ne saurais pas trop dire », s’interroge-t-elle.
Une étude américaine intitulée « Concealable Stigma and Occupational Segregation: Toward a Theory of Gay and Lesbian Occupations », publiée dans la revue Administrative Science Quartely et relayée par Inside Higher Ed en 2016, énumère la liste des quinze métiers où les gays et lesbienne sont davantage représenté·e·s. Une majorité travaille dans le social et l’éducation (psychologue, responsable des ressources humaines et travailleur social du public ou éducateur, arrivent en tête du classement). En s’appuyant sur une enquête réalisée en 2014, les chercheurs ont constaté que les personnes sondées étaient particulièrement attirées par les tâches qu’elles pourraient accomplir indépendamment de leurs collègues. Alexis, qui prépare le concours d’entrée à l’ENS pour s’orienter vers la recherche, se reconnaît dans ce besoin d’indépendance. « Je souffre de troubles du spectre de l’autisme (TSA), donc le travail en groupe, c’est compliqué. Je pense que c’est aussi lié à mon orientation sexuelle, confie le jeune homme qui se définit comme pansexuel. Je me sens différent par rapport aux autres, et le fait d’avoir une orientation non hétérosexuelle, contribue à ma charge mentale dans certains groupes. »
Les jeunes générations, plus inclusives
Quoi qu’il en soit, les étudiant·e·s observent un net retard de la France sur les sujets d’inclusion. Daniela, 26 ans, est Colombienne. Membre de l’association Assas LGBT+, la jeune femme l’a remarqué dès son arrivée sur le campus de l’université de droit : « J’étais surprise d’apprendre que l’association de la fac soit si récente, car en Colombie, c’est le strict minimum. » Théo, qui étudie déjà en Allemagne grâce au programme d’échange de son école de commerce, envisage une carrière en Australie, en Suisse ou au Canada. « Pourquoi rester en France alors que dans d’autres pays, être LGBT+ est une anecdote ? »
La nouvelle génération est porteuse d’espoir, estime Lucie : « Dans un labo pour lequel j’ai travaillé en Écosse, il y avait des toilettes non-genrées. Les personnes de mon âge trouvaient que c’était une bonne initiative, se souvient-elle. J’aurais tendance à dire que les jeunes étaient plus inclusifs. » De son côté, si Daniela travaillait dans un environnement hostile, elle attendrait de gravir les échelons pour sortir du placard, et ainsi offrir un climat plus agréable aux futur·e·s salarié·e·s : « La nouvelle génération doit faire un effort pour les prochaines. »
(*) Le prénom a été changé.