Historienne spécialiste des droits des femmes et experte dans la prévention des violences sexistes pour le cabinet Psytel, Lucile Peytavin a calculé l’impact des comportements virils pour la société française : 95,2 milliards d’euros par an. Son livre "Le coût de la virilité" sort aux éditions du Livre de Poche le 8 mars.
Par Etienne Brichet
Vous vous êtes intéressée à l’impact de la virilité sur la société. Comment définissez-vous cette notion ?
Nous éduquons les garçons différemment des filles à travers la virilité qui les pousse à avoir des comportements asociaux. Pourtant, rien dans leur biologie ne les pousse à adopter ces attitudes. Olivia Gazalé, philosophe et auteure du “mythe de la virilité”, définit la virilité comme une norme à atteindre qui détermine ce que doit être un « vrai » homme. Cette notion rassemble les attributs de force et de puissance, à la fois physique et morale. En pratique, elle s’exprime par des comportements de domination, de haine, et de discrimination au détriment de l’ensemble de la société, des femmes, mais également des hommes eux-mêmes.
Quelles sont les principales conséquences de ces comportements asociaux ?
La première conséquence, c’est la surreprésentation des hommes dans la délinquance et la criminalité. La population carcérale masculine représente 96,3 % du total et les hommes représentent 83 % des personnes mises en cause par la justice. Ils sont aussi surreprésentés dans les infractions les plus graves : 99 % des auteurs de viols, 84 % des auteurs d’accidents mortels sur la route, et 86 % des auteurs d’homicides. Cela représente des moyens financiers, matériels, et humains, notamment pour les citoyens et les citoyennes parce qu’il y a des destructions de biens, des souffrances physiques et psychologiques mais aussi des décès.
Vous estimez le coût de la virilité à environ 95,2 milliards d’euros par an pour la société française. D’où vient ce montant ? Peut-on estimer le coût pour les entreprises ?
Ce chiffre demeure sous-estimé, mais pour arriver à ce montant, j’ai mis les taux de responsabilité par type d’infraction en regard aux budgets dépensés, par exemple les budgets alloués à la justice, à la police, etc. Ensuite, j’ai calculé le surcoût de la surreprésentation des hommes dans les comportements asociaux par rapport à celle des femmes et j’ai obtenu ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes.
Peu de recherches s’intéressent aux conséquences de la virilité en entreprise. Mais une étude publiée en 2012 dans la revue Boys don’t cry a estimé le coût du management autoritaire, davantage utilisé par les hommes, à 1,3 milliard d’euros, notamment parce qu’il y a des conséquences sur le bien-être des salarié·es.
La virilité revêt-elle des formes spécifiques dans le monde du travail ?
Certains métiers sont encore des bastions d’hommes. En vérité, les métiers sont peu mixtes. La part des femmes dans le bâtiment s’élève à 12,3 % et celle des hommes dans les métiers du care, c’est-à-dire les métiers du soin et de l’aide à la personne, est de 5 %. En entreprise, les hommes incarnent l’autorité et les personnes qui ne répondent pas aux normes de la virilité se retrouvent discriminées. La sociologue Haude Rivoal a étudié la virilité en entreprise à travers la question du capitalisme dans La Fabrique des masculinités au travail. Selon elle, le capitalisme valorise la performance, parfois au détriment du bien-être des travailleurs et de l’environnement. Être le plus rentable, le plus puissant, le plus performant, cela a un coût.
Les hommes prennent-ils davantage de risques que les femmes au travail ?
On a longtemps pensé que les métiers dits « féminins » n’engageaient pas de risques. Aujourd’hui, on se rend compte que dans certains de ces métiers, il y a des risques importants de maladies musculo-squelettiques. Il ne faut pas oublier que 62,7 % des accidents du travail concernent des hommes en raison d’un environnement de travail accidentogène mais aussi parce que certains hommes prennent des risques pour réinvestir leur masculinité.
Quels sont les impacts de la virilité en entreprise sur les femmes et les personnes minorisées ?
Il suffit de regarder les chiffres : 82 % des salariées estiment que les femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes. Au moins 25 % des personnes LGBTQI+ ont été victimes au moins une fois d’agression LGBTphobe au travail. Autre fait intéressant : 41 % des hommes qui ont une apparence “jugée” féminine et 40 % des femmes qui ont une apparence androgyne ont subi des insultes au travail. La norme virile est toujours d’actualité parce que les hommes et les femmes ne doivent pas s’écarter des normes de leur genre sous peine d’être discriminés.
Les entreprises peuvent-elles changer les mentalités ? Ou bien faut-il viser en amont l’éducation ?
Le gros du problème se trouve dans l’éducation. Tout se joue dès les premiers jours de la vie des garçons où l’on prépare un terreau fertile pour leurs futures conduites asociales. Pour ce qui est des entreprises, elles devraient travailler sur l’acceptation de la parentalité pour les hommes. Ceux-ci doivent se sentir libres de prendre leur congé paternité et de quitter leur travail s’ils doivent s’occuper des enfants. Il faut les encourager à s’investir dans la parentalité parce que cela a des conséquences sur la carrière, les revenus, et la retraite des femmes qui assurent encore la majorité des tâches domestiques et parentales.
Quelles actions faudrait-il mettre en place pour réduire les comportements virils ?
Éduquons davantage les garçons comme les filles en encourageant les comportements empathiques et altruistes. Contraignons les suffisamment pour qu’ils respectent les règles. Développons davantage leurs sentiments et arrêtons de valoriser la colère. Ce sont des schémas qu’il faut repenser et déconstruire pour donner d’autres valeurs aux garçons.
En entreprise, il faut n’avoir de cesse de lutter contre les paroles sexistes et LGBTphobes mais aussi contre les stéréotypes de genre. Diversifier les profils en intégrant plus de femmes et de personnes minorisées est bon pour l’économie et les entreprises.