Spécialiste des questions d’égalité, de diversité et d’inclusion en entreprise, Christine Naschberger est enseignante-chercheuse en management et ressources humaines au sein d’ Audencia Business School, à Nantes. Elle y encadre des recherches sur l’inclusion professionnelle des personnes LGBTQI+. Un travail indispensable qui met en lumière les leviers d’action à enclencher dès l’université.
Par Aimée Le Goff
Pour les personnes LGBTQI+, comment se manifeste la discrimination au travail ?
Cela prend plusieurs formes, entre les micro-agressions, les remarques déplacées, l’homophobie ordinaire et une certaine mise au placard. On parle également de macro-agressions, lorsque la personne n’est jamais promue, par exemple parce qu’on lui prête des stéréotypes en supposant qu’elle va entretenir des rapports sexuels avec les client·es.
Cette souffrance se retrouve-t-elle davantage dans certains secteurs ?
Plusieurs études démontrent que les personnes LGBTQI+ se tournent davantage vers l’enseignement et la recherche, des milieux où il est possible de jouir d’une certaine liberté intellectuelle. Elles investissent également les secteurs de la mode et de la communication. C’est un stéréotype mais c’est aussi un fait. Il y a beaucoup plus de souffrance dans les secteurs dits “masculins”, où les codes de l’entreprise sont très orientés sur la virilité. C’est le cas dans le secteur automobile et dans le milieu du sport, où l’hétéronormativité est très ancrée.
Quelles actions est-il possible de mettre en place pour lutter contre ces discriminations ?
Les entreprises doivent instaurer une culture qui permette à tout le monde de se sentir en sécurité. C’est le concept de sécurité psychologique, selon la professeure Amy Edmondson, qui enseigne à la Harvard Business School. La création de cet environnement de travail peut passer par un management inclusif, ou inclusive leadership, notion que développent les consultantes Juliet Bourke et Andrea Titus. Il comprend six compétences-clés : la curiosité pour s’intéresser à l’autre, la collaboration pour éviter l’isolement, l’engagement, le courage (de prendre des décisions importantes ou de faire plus de pédagogie), la connaissance en s’informant de ce qu’il se passe autour de nous, et l’intelligence culturelle, qui se mesure tout autant que l’intelligence émotionnelle. Certaines organisations font le choix de désigner des allié·es. C’est le cas d’Accenture. Sa politique consiste à désigner les personnes référentes en interne comme allié·es en faveur de l’inclusion des personnes LGBTQI+. Cette notion va devenir de plus en plus importante dans les années à venir.
L’inclusivité professionnelle peut-elle être anticipée durant la vie étudiante ?
Pour viser la diversité en entreprise, le climat inclusif doit se créer sur les campus, en effet. Chez Audencia, nous avons signé la charte LGBT+ de l’Autre Cercle en 2015. Il s’agit d’un engagement concret qui se décline en quatre axes. Nous avons aussi mis en place le collectif Be Yourself, qui prône la diversité et l’inclusion. Il intègre des parties prenantes dont les étudiant·es, les personnels administratifs, l’équipe enseignante et des personnes extérieures. Nous organisons des réunions tous les deux à trois mois pour échanger sur ces sujets. Dans d’autres grandes écoles, comme à l’ESSEC Paris, des réseaux LGBT sont mis en place. Il faut s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue dès l’école.
D’autres initiatives ont-elles été lancées récemment ?
Début 2022, l’Association nationale des directrices et directeurs de ressources humaines (ANDRH) a publié le guide pratique Diversité et inclusion. Il comprend sept règles d’or : “objectivez vos décisions managériales ; offrez un quotidien de travail pleinement inclusif ; évitez les projections et suppositions ; soyez ambassadeur ; formez-vous ; gardez l’esprit ouvert ; entretenez un climat bienveillant”. Les entreprises s’inspirent aussi des sociétés anglo-saxonnes, qui ont beaucoup d’avance. Dans les multinationales américaines, la diversité est abordée depuis une quarantaine d’années.
Pourquoi a-t-on mis autant de temps avant d’explorer ce sujet en France ?
Il aura peut-être fallu passer par la crise du Covid, qui s’est traduite par un profond désengagement professionnel, pour s’interroger sur le bien-être au travail et la santé mentale du personnel. Mais les premières actions des entreprises datent en fait de 2005, époque des émeutes dans les banlieues françaises. On s’est alors rendu compte que de nombreuses personnes étaient exclues du monde du travail, et les ressources humaines ont commencé à réfléchir à la question de l’inclusivité.
Le thème de la diversité reste pourtant méconnu dans de nombreuses organisations. Comment l’expliquez-vous ?
Les entreprises ont souvent d’autres priorités, et le facteur humain arrive après d’autres paramètres : manque de temps, course après des objectifs, pression constante…Trop d’organisations considèrent que la diversité n’est pas le sujet prioritaire. En matière d’inclusivité, on peut rapidement faire cinq pas en avant puis sept en arrière. Il suffit d’un changement de direction pour perdre ses acquis du jour au lendemain…Ceci nécessite encore beaucoup de pédagogie.
En quoi une politique d’inclusivité contribue-t-elle à de meilleures performances ? Pourquoi est-il nécessaire d’en faire un thème d’entreprise ?
Il est évident que si vous êtes victime d’agressions toutes les semaines, voire tous les jours, vous êtes moins disponibles pour vous engager pour votre entreprise. De même, si vous vous inventez une deuxième vie avec un·e partenaire imaginaire pour avoir la paix, vous dépensez une énergie considérable, qui n’est pas déployée au service de votre employeur. Le désengagement est un outil qui se mesure. A force de se développer, il impacte les chiffres de l’entreprise. Tout le monde gagne à être soi-même et à s’inscrire dans une forme d’authenticité. Pour le bien des entreprises comme de ses employé·es, il est temps de se recentrer sur l’essentiel et d’adopter une approche plus humaniste.