Boston Consulting Group (en partenariat avec Harvard Business Review et tetu·) livre une étude rarissime. Pour son enquête sur l’inclusion des personnes LGBTQI + en entreprise, le cabinet de conseil a interrogé 6700 personnes dans huit pays, dont 2 230 personnes transgenres et non binaires. Si l’inclusion des personnes LGB progresse en entreprise, le chemin semble encore très long pour les personnes transgenres et non binaires. Tout particulièrement en France.
Par Chloé Consigny
19 %. Telle est aujourd’hui la proportion des personnes transgenres et non binaires qui sont aujourd’hui out sur leur lieu de travail au sein de l’Hexagone. Sur les huit pays sondés (Inde, France, Royaume-Uni, USA, Brésil, Mexique, Australie, Allemagne), la France se place en toute dernière position, soit dix points en deçà de la moyenne des huit pays. Le Brésil arrive en tête, avec 43 % des personnes transgenres et non binaires out sur leur lieu de travail, suivi de l’Inde (33 %) et du Mexique (30 %).
Le retard français
Qu’est-ce qui explique ce retard français ? Parmi les raisons invoquées pour justifier leur invisibilité, le sempiternel sujet de la séparation entre sphère privée et sphère professionnelle. « C’est méconnaître le monde du travail. Tous les collègues hétérosexuels posent sur leur bureau un cadre avec la photo de leur enfant et de leur conjoint. Lorsque l’on sépare sa vie privée de sa vie professionnelle, c’est parce que l’on ne se sent pas à l’aise pour le faire », déplore Thomas Delano, Managing Director & Partner, Boston Consulting Group. Dans la société en général, les personnes transgenres et non binaires restent bien moins visibles en France qu’à l’étranger et notamment aux Etats-unis où 41 % des Américains déclarent avoir dans leur entourage une personne transgenre ou non binaire. À cela s’ajoute une inquiétude : celle que la visibilité puisse nuire à la carrière des personnes concernées.
Impolitesse, discrimination et agression
Une inquiétude fondée, reflet d’une triste réalité. Au sein des huit pays où l’enquête a été réalisée, plus de 80 % des employés transgenres et non binaires déclarent avoir subi au moins dix comportements agressifs ou expériences professionnelles négatives au cours de l’année écoulée. Comportements qu’ils et elles attribuent directement à leur identité ou expression de genre. En France, 43 % des personnes transgenres et non binaires se disent victimes de harcèlement sexuel et 47 % d’entre elles sont rejetées par leurs collègues. Parmi les souffrances du quotidien : morinomage* et mégenrage sont légion, tant sur les documents administratifs que dans les documents de travail. Les personnes transgenres et non binaires sont par ailleurs régulièrement victimes de ragots colportés par des collègues et doivent faire face à des questions intrusives sur leur genre et leur sexualité. Certains et certaines relatent qu’il leur a été explicitement demandé de ne pas partager leur identité avec des clients ou des consommateurs. « Il faut bien avoir à l’esprit que le sujet de la transidentité s’accompagne encore de nombreux fantasmes. Finalement, les responsables ressources humaines ne se sentent pas armés pour s’emparer de ce sujet », explique Thomas Delano.
La France, un pays d’allié·es ?
Un point positif cependant, celui du rôle des allié·es. Lorsqu’elle est visible dans l’entreprise, la personne transgenre ou non binaire peut compter sur le soutien de ses collègues et de son organisation. Davantage que si elle est invisible : 36 % des personnes out se sentent soutenues par leurs collègues, contre 25 % des personnes qui ne le sont pas. « C’est un point de départ très encourageant. Il faut que l’on se saisisse de ces bonnes intentions. Les dirigeants, les comités exécutifs doivent traduire cette bienveillance en un environnement de travail inclusif pour les personnes transgenres et les personnes non binaires », enjoint Thomas Delano.
Du rôle du top management
Dès lors, comment faire ? L’étude livre différentes pistes d’actions qui au-delà des bonnes intentions permettent d’afficher clairement l’engagement de l’entreprise. La première est finalement assez facile à mettre en place. Il s’agit de revoir les processus administratifs afin de ne pas mégenrer les personnes concernées. Il s’agit ensuite de sensibiliser. Un travail qui s’inscrit dans le long terme et qui doit associer toutes les forces de l’organisation, à commencer par le top management. « Je ne crois pas à une politique d’inclusion engagée par les ressources humaines. L’expérience montre que cela ne fonctionne pas. Ce sont les dirigeants et dirigeantes d’entreprise qui doivent s’emparer de ce sujet qui doit ensuite être relayé par les managers qui, au quotidien, sont au contact direct des opérationnels », explique Thomas Delano. Au sein des entreprises où les dirigeants et dirigeantes s’engagent en faveur de l’inclusion et de la diversité, 84 % des employés se sentent valorisés et respectés, contre 44 % dans les entreprises où les dirigeants et dirigeantes ne s’engagent pas.
Un fort levier de performance et de rétention des talents
De fait, une stratégie d’inclusion est un vecteur de performance pour l’entreprise. Selon les chiffres livrés dans le précédent baromètre Boston Consulting Group, les entreprises dont les équipes affichent une diversité supérieure à la moyenne sont 19 % plus innovantes que les autres. Par ailleurs, la performance de ces entreprises est de 9 points supérieure à celle des entreprises dont les équipes sont moins diverses. Plus actuel encore, le sujet de l’inclusion est un enjeu d’attractivité et de fidélisation des talents. À l’heure de la grande démission et des démissions silencieuses, les talents demeurent la valeur la plus précieuse des entreprises.
S’il fallait encore des chiffres pour convaincre les entreprises les plus récalcitrantes de se lancer dans une stratégie d’inclusion, les voici : en France, 58 % des personnes transgenres et non binaires ont refusé de postuler dans une entreprise ne leur semblant pas inclusive. Après un premier entretien au cours duquel la culture d’entreprise est apparue trop discriminante, 45 % des talents ont tout simplement décidé de mettre fin au processus de recrutement.
Consultez ici l’étude dans son intégralité
* Morinnomer : Désigner par son prénom d’état-civil de naissance (morinom), une personne qui en a changé depuis.