En matière de représentation des diversités, le secteur de la beauté est loin d’être irréprochable. Pourtant, une révolution semble aujourd’hui en marche. Terminés les packaging genrés et les représentations standardisées de l’égérie blonde, hétéro, cis et blanche. De nouvelles marques émergent et entendent bien bousculer les codes de la représentation de la beauté.
Par Chloé Consigny
C’est un secteur qui craint peu les crises et la morosité ambiante. Lorsque le monde va mal, les soins corporels et cosmétiques font figure de valeur refuge. Il fait bon s’offrir une bulle cocooning dans un contexte macroéconomique incertain. Si les ventes de make-up ont plongé lors des différents confinements, les soins pour le visage et la peau ont montré une certaine résilience. Ainsi, sur l’ensemble de l’année 2020, le secteur des cosmétiques a moins souffert que l’économie française. Selon les estimations réalisées par Asterès pour la FEBEA, le chiffre d’affaires du secteur perdait 5 % en 2020, tandis que la consommation totale des ménages se repliait de 7 %. Désormais, les perspectives de croissance du secteur sont au beau fixe : une étude réalisée par le cabinet de conseil McKinsey évalue le revenu généré par le secteur de la beauté à 430 milliards de dollars chaque année dans le monde. Le cabinet prévoit une croissance de 6 % par an jusqu’en 2027. Au côté des très grandes enseignes, leaders du secteur, telles que Procter & Gamble, Beiersdorf Global, L’Oréal, Unilever ou encore The Estée Lauder Companies Inc., de nouvelles marques émergent. Aux États-Unis, les marques non genrées telles que Youth To The People ou encore Drunk Elephant, sont désormais loin d’être anecdotiques.
La France à la traîne
Qu’en est-il de la France ? « Si on la compare à des pays tels que la Corée du Sud, La France n’est pas du tout en avance », constate Ning Li, fondateur de la marque de soins Typology. Pourtant, la marque non genrée, fondée en 2019, connaît aujourd’hui une croissance à trois chiffres. « Un exploit », commente Ning Li, qui reconnaît que la période de confinement a été un accélérateur : « cette période a été marquée par une préoccupation forte en matière de santé et de durabilité. Les personnes confinées chez elles ont pris le temps de s’informer et se sont tournées vers des marques différentes et engagées ». Dès sa création, Typology a sollicité le label B-Corp, une certification particulièrement exigeante en matière environnementale. Le marketing non genré est également un choix affirmé : « Notre discours porte sur les actifs et sur la science. Nous ne nous positionnons pas en fonction d’un genre, mais en fonction d’un besoin de peau ». Et de fait, « une peau acnéique, qu’elle soit celle d’un homme ou d’une femme, se traitera avec les mêmes produits », abonde Anaïs Bambili, Docteure en pharmacie et créatrice de Vibre, une marque de soin qui se réclame « androgyne ». Elle explique : « j’ai voulu créé une marque pour « all the people », c’est-à-dire qui s’adresse à l’humain, de manière non binaire ».
Nouvelles représentations
Le positionnement de ces marques fait écho à une attente forte de la part d’une partie des consommateurs : celle de donner à voir davantage de représentations de visages et de corps, en phase avec la réalité de la société.
Chez Typology « les mannequins sont choisis pour leur peau et non pour leur genre », explique Ning Li, qui ajoute « notre propos est de donner à voir l’efficacité des actifs ». Chez Vibre, le choix des égéries de la marque a induit d’importants questionnements pour la créatrice. « Début 2023, j’ai lancé un casting pour trouver les visages de la campagne. Lors du casting, une personne trans s’est mise à pleurer en me disant que c’était la première fois de sa vie qu’elle se reconnaissait dans une marque de beauté », se souvient Anaïs Bambili, qui ajoute « j’ai compris à ce moment-là que nous étions en train de construire quelque chose d’important ».
Une certaine peur de la diversité
Si les grandes maisons se sont toutes engagées dans des représentations plus diverses dans leurs campagnes, elles le font grâce à une segmentation fine de leur offre et conservent des marques aux représentations plus stéréotypées. « Il faut bien avoir à l’esprit que la diversité fait encore peur. Les personnes généralement âgées de plus de 35 ans, ont besoin d’avoir des repères genrés et hétéronormés et ne se retrouvent pas du tout dans une marque comme Vibre. Il y a encore une demande pour des publicités mettant en scène la femme blanche, blonde, cis, hétérosexuelle, mince et hyper sexualisée et c’est la raison pour laquelle ce type de publicité existe encore », constate Anaïs Bambili.
Récemment, une grande marque de parfum italien s’est illustrée par son sexisme, en livrant une fragrance baptisée Ma’magnifica, une création qui rend hommage à « la mama italienne ». Et d’argumenter dans son communiqué de presse : « La mamma italienne est l’un des symboles culturels les plus emblématiques. Parfaite harmonie entre féminité et maternité, elle est la muse ultime du quotidien (…) Pour autant, son rôle de mamma n’éclipse jamais sa féminité naturelle. Avec son mari, elle est séductrice et le soutient dans ses idées, tout en lui apportant son avis éclairé ».
Un véritable condensé de stéréotypes sexistes qui montre que le chemin à parcourir est encore long pour l’industrie de la beauté.