Aux Etats-Unis différentes initiatives ont été mises en place pour fédérer les femmes lesbiennes dans le secteur de la Tech. Existe-t-il des dispositifs semblables en France? Ces réseaux ont-ils une incidence sur leur visibilité et leur épanouissement au travail?
Par Léa Taïeb
Quelle est la particularité des événements dédiés aux femmes lesbiennes ?
Les start-up et les scale-up ont souvent peu de temps à consacrer aux thématiques de diversité et d’inclusion. Dans le secteur de la Tech, les femmes demeurent sous-représentées et ne représentent que 30 % des fondatrices de start-up Tech, selon le baromètre Sista Boston Consulting Group. Les rares réseaux qui existent connaissent un engouement certain de la part des personnes concernées. Ainsi, certaines femmes préfèrent se rendre à des événements où elles sont majoritaires. “C’est une sorte de safe place : tu n’as pas peur d’y aller, d’y prendre part”, explique Eole Montredon, modeleuse 3D (ingénieure en modélisation tridimensionnelle) et designer en réalité virtuelle. Elle ajoute que lors des événements non mixtes, les personnes qui ont de l’expérience considèrent l’autre comme leur égale. “Tandis que quand tu parles à un homme, il a tendance à te parler comme si t’étais une gamine”, remarque-t-elle.
Kristen Hateley, copywriter chez CodinGame for Work, remarque que lors des événements mixtes, les femmes lesbiennes sont souvent moins nombreuses. Peut-être, pour les raisons évoquées par Eole Montredon.
En France, une tentative de création d’un réseau Tech à destination des femmes lesbiennes
En 2015, après avoir découvert Lesbians Who Tech (LWT) à San Francisco (un réseau qui réunit les femmes Queer autour des questions Tech), Marine Romezin, alors communication manager au sein de Squid, contacte l’organisation et leur propose de piloter l’antenne française. Lesbians Who Tech France est né. Sa mission : faire en sorte que les femmes lesbiennes puissent s’imposer dans le monde de la Tech.
En 2017, l’organisation américaine décide d’organiser son sommet international annuel à Paris. Marine Romezin prend les commandes de cet événement organisé au sein de Google France. “J’ai eu envie de faire partie de cette initiative pour que des femmes lesbiennes puissent prendre confiance en elles, prendre la parole et s’assumer dans leur travail”, se rappelle Marie-Aline Millot, aujourd’hui design Ops chez Agicap et l’une des bénévoles de l’époque. Et de compléter : “c’est important de pouvoir identifier qui sont ses alliées pour demander du mentoring, des conseils à d’autres plus expérimentées”.
Suite à ce moment charnière, le mouvement s’essouffle en raison de désaccords entre les américaines et les françaises. L’épidémie de Covid-19 n’aide pas à relancer les événements.
Aujourd’hui, plusieurs ex-bénévoles s’apprêtent à déposer les archives de LWT Paris aux archives lesbiennes pour que les conférences et les ressources de 2017 puissent être partagées.
Aujourd’hui, quelles sont les alternatives à LWT ?
“Au fil des événements organisés par Lesbians Who Tech, nous avons compris qu’il y avait des limites à ce réseau”, remarque Marion Daeldyck, product designer chez OCTO Technology et ex-bénévole. Et d’ajouter : “le terme lesbienne n’était pas assez inclusif : par exemple, les pansexuelles, les femmes transgenres qui voulaient assister à nos événements ne s’autorisaient pas à venir”.
Depuis 2019, de nombreuses initiatives indépendantes et locales se sont créées autour de la visibilité des femmes lesbiennes dans le monde du travail. “Dans le cadre d’une association, nous allons par exemple intervenir dans un collège pour parler de nos métiers, pour rappeler que peu importe son orientation sexuelle, son identité de genre, il est possible d’exercer le métier de son choix”, explique Marion Daeldyck.
Mais, aujourd’hui, s’observe une convergence des luttes : les lesbiennes s’unissent à d’autres diversités pour former la communauté LGBTQI+. Certaines rejoignent des organisations comme LGBTech qui fédère des personnes LGBTQI+ évoluant dans l’écosystème Tech. “Depuis quelque temps, l’organisation accueille de plus en plus de femmes lesbiennes”, constate Eole Montredon.
La plupart des entreprises anglo-saxonnes installées en France et certains grands groupes français accueillent des Employee Resource Groups (ERG) consacrés à la défense des droits des salarié·es LGBTQI+. Mais ces structures manquent encore dans la majorité des boîtes de la Tech.
“Je pense que les associations LGBTQI+ devraient, de temps en temps, organiser des événements qui s’adressent à différents publics pour que les personnes comme les lesbiennes ou encore les personnes trans, qui n’osent pas participer à des événements s’adressant à toute la communauté LGBTQI+ puissent venir”, explique Marion Daeldyck.
Quel constat peut-on faire sur le monde de la Tech : est-il inclusif pour les femmes lesbiennes ?
Il n’existe pas réellement d’études sur l’inclusion des femmes lesbiennes dans le monde de la Tech. Récemment, une enquête a montré que 50% des femmes lesbiennes (tous secteurs confondus) ne sont pas out au travail par peur des réactions de leurs collègues, de leur hiérarchie. Qu’en est-il dans les entreprises Tech ?
Dans les entreprises (de grande taille) qui mettent en place une politique diversité et inclusion, qui s’engagent publiquement dans la défense des droits des personnes LGBTQI+, on peut faire l’hypothèse que plus de femmes lesbiennes peuvent s’assumer et s’épanouir. “J’ai le sentiment, en étant salariée dans une scale-up dont la culture s’inspire des anglo-saxons, qu’il est plus confortable d’être lesbienne dans la Tech qu’ailleurs”, estime Marie-Aline Millot, design Ops chez Agicap.
Rappelons que ce secteur est loin d’être homogène et compte aussi bien des géants que des jeunes pousses. Dans les start-up qui démarrent, l’équipe fondatrice a tendance à plus se concentrer sur le lancement et moins sur l’épanouissement de ses employé·es.
Comment faire pour que les femmes lesbiennes soient plus visibles dans le milieu Tech ?
“Il faut commencer par agir sur le recrutement”, assure Kristen Hateley. Et de poursuivre : “les personnes en charge du recrutement doivent faire un travail pour se débarrasser de leurs biais, de leurs préjugés et donner leur chance à des profils qui sortent un peu de la norme”. Selon cette dernière, les entreprises doivent aussi rendre visibles les femmes lesbiennes qui occupent des postes comme CTO (Chief Technical Officer) pour faire évoluer les regards et servir de rôle modèle pour d’autres femmes homosexuelles.
De son côté, Eole Montredon considère que les entreprises devraient davantage travailler avec des associations de femmes lesbiennes. “On pourrait développer du mentorat entre des professionnelles lesbiennes et des jeunes femmes lesbiennes à la recherche de conseils”, suggère-t-elle.
Toutes estiment qu’il est nécessaire d’intervenir au collège, au moment de l’orientation professionnelle, pour rappeler que les femmes ont un rôle à jouer dans le monde de la Tech. “Aujourd’hui, ce secteur peine à recruter des femmes dont des lesbiennes. Si l’on montre que l’on peut réussir dans ce milieu, peut-être que plus d’adolescentes se dirigeront vers ces filières”, espère la modeleuse 3D et designer.