En 2010, Martine Letellier, professeure de physique-chimie, a fait son coming out transgenre dans son établissement. Treize ans plus tard, elle revient sur les étapes et les difficultés rencontrées.
Par Marie Roy
C’est d’une voix calme et posée que Martine, 57 ans, raconte son histoire. Pourtant, celle-ci n’a rien d’un long fleuve tranquille et les épisodes de fortes turbulences n’ont pas manqué.
C’est à 12 ans que Martine Letellier comprend qu’elle est transgenre : « Ça a été une espèce de flash sur le quai du métro de la station Mérode, à Bruxelles. Je voyais des collégiennes et je me disais « C’est elles que je veux être ». C’est une sensation qui m’est apparue comme une évidence : je ne me sentais pas bien dans le rôle masculin. »
Martine explique alors s’être sentie comme « un monstre, comme une personne unique ». Elle décide donc de tout faire pour se conformer à ce que la société attend d’elle : être un garçon. Elle suit alors le cursus honorum masculin : école non-mixte, scoutisme, études d’ingénieur et enfin, service militaire en tant qu’officier. « Difficile de mieux coller aux stéréotypes masculins », s’amuse aujourd’hui Martine Letellier en décrivant son parcours. Mais, au moment de son service militaire, sa réalité se rappelle durement à elle : « J’ai craqué. Je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté de ma transidentité ». À partir de là, les réflexions de Martine se mettent à « mijoter », comme elle dit, jusqu’à ce qu’elle passe le pas, à 39 ans, et entame sa transition.
Une transition devenue indispensable
Parallèlement à ces événements, Martine Letellier se tourne finalement vers une carrière de professeure de physique-chimie dans l’enseignement privé. En juin 2010, à 44 ans, elle travaille au collège-lycée Saint-Dominique, à Saint-Herblain, près de Nantes, et elle décide de faire son coming out professionnel. Car, concrètement, en juin 2010, Martine est encore appelée « Monsieur » dans son établissement et répond à tous les codes masculins. Mais, la transition physique, commencée quelques années plus tôt, devient de plus en plus visible : « Des élèves avaient déjà réussi à détecter des choses car j’étais déjà sous traitement hormonal depuis deux ans et j’avais de la poitrine qui apparaissait. Ça commençait à être visible et des élèves m’avaient fait la remarque ». Au-delà de l’apparence physique, la transition devient également un enjeu de santé mentale pour Martine : « J’étais très mal et la question du suicide n’était pas loin, faire une transition était devenu une nécessité. J’ai fait mon coming out trans parce que j’en avais besoin, pas par gaité de coeur. »
Ainsi, Martine prend rendez-vous avec son directeur avec l’impression « de scier la branche sur laquelle j’étais assise ». À l’annonce de son coming out, le supérieur de la professeure tombe des nues et « se liquéfie » devant elle. Pour autant, le directeur ne se démonte pas totalement et lui indique qu’il faut qu’elle le signale à la hiérarchie.
Changer d’établissement ou prendre un congé
Alors, l’enseignante rencontre le responsable de l’enseignement catholique. Mais une surprise l’attend : « Je pensais n’avoir rendez-vous qu’avec une seule personne, en fait il y en avait deux, il y avait aussi un psychologue de l’enseignement catholique ». Le ton est donné. Vient ensuite un second rendez-vous, avec le rectorat cette fois-ci. Là, on demande à la professeure de changer d’établissement ou de prendre un congé. « Mais l’idée de changer de lieu de travail ou de disparaître pendant un an, parce que c’est bien de ça qu’il s’agissait, ne me convenait pas. »
L’été se passe et dans les derniers feux du mois d’août, Martine est de nouveau contactée par le rectorat qui lui propose un congé formation sur une année entière. « Il faut savoir qu’habituellement, on ne peut prendre que six mois d’un coup et que la demande doit être faite en janvier ». Malgré cette seconde tentative de sa hiérarchie, Martine Letellier tient bon et décide d’affronter la rentrée.
Une lettre envoyée aux parents et aux élèves
Un peu avant que le jour J n’arrive, la direction du collège-lycée envoie un courrier à tous les parents et élèves pour les informer que le professeur de physique chimie serait une professeure à la rentrée. Mais le courrier fuite et la nouvelle se retrouve, de fil en aiguille, annoncée par une radio locale. La machine médiatique s’affole et en un rien de temps, la transition de l’enseignante fait les titres de la presse locale, nationale et même internationale. « J’ai vu des articles sur moi dans la presse marocaine et canadienne », se remémore Martine.
À ce moment, l’enseignante se protège en refusant d’apparaître à la conférence de presse organisée au niveau du diocèse, mais elle n’échappe pas aux répercussions: « Le moment que j’ai ressenti comme étant le plus violent, c’est quand je suis allée à la boulangerie. Juste à côté, il y avait un tabac presse et il y avait le panneau avec les affichettes jaunes de Ouest-France. Celle du jour annonçait : « un prof change de sexe pendant l’été ». C’est très bizarre de se retrouver face à cela, sachant qu’on est directement concerné.» En plus des articles, il faut également faire face aux commentaires « parfois odieux » des internautes.
C’est dans ce contexte que la rentrée se déroule : « Je me rappelle de mon premier cours, c’était avec une classe de seconde, et j’étais très angoissée ». La professeure est autorisée à répondre aux questions des élèves qui, finalement, s’habituent très vite à la situation. « Au début, il y a eu des petits rires de gêne, mais très rapidement, il n’y a plus rien eu du tout. Je dirais que ça s’est très bien passé avec eux ». Mieux qu’avec certaines collègues qui signalent leur malaise à voir entrer Martine dans les toilettes des femmes.
Interdiction d’accompagner les sorties scolaires
De même, on interdit à Martine d’accompagner les élèves en sortie scolaire. « Des collègues féminines ne souhaitaient pas dormir dans la même chambre que moi ou parce que j’étais lesbienne ou parce que j’étais trans. » L’année d’après, la professeure est enfin autorisée à accompagner les jeunes : « On m’a donné une chambre de dix personnes pour moi toute seule. Et à l’étage des garçons, parce qu’on ne sait jamais… », ironise-t-elle.
Ce coming out a également une autre conséquence : « À l’époque, le directeur pouvait attribuer des points d’avancement aux enseignants. À partir du moment où j’ai fait mon coming out je n’ai plus eu aucun point. Quand on passe un échelon, là, on est obligé d’avoir des points et ça ne repose pas sur le directeur. J’ai donc dû attendre de passer un échelon pour obtenir les fameux points. » Elle poursuit : « Mon coming out a clairement ralenti l’avancement de ma carrière. »
Néanmoins, Martine souligne que faire son coming out professionnel a été « libérateur et m’a permis de vivre plus facilement sur le plan personnel. »
Un peu plus d’une décennie s’est écoulée et l’enseignante estime que ce qu’il s’est passé à son époque ne pourrait pas se répéter aujourd’hui : « Il n’y aurait pas d’article dans les médias. J’ai un peu essuyé les plâtres en 2010. Mais je me souviens qu’en 2012, un prof d’un autre lycée privé de Nantes a fait son coming out trans et ça s’est passé infiniment plus calmement que dans mon cas. ». L’enseignante met aussi en évidence les avancées de la société depuis une décennie : « C’est plus facile aujourd’hui », et d’ajouter et de conclure : « il ne faut cependant pas se leurrer, il y a toujours de la transophobie ».