« Un véritable allié ne prend jamais la parole à la place d’une femme », explique le professeur politiste à l’université du Québec, à Montréal Francis Dupui Déri. L’auteur de l’ouvrage « Les hommes et le féminisme. Faux amis, poseurs* ou alliés ? » aux éditions Textuel détaille les possibilités d’actions et de non actions qui s’offrent aux hommes qui souhaitent s’engager contre les inégalités de genre.
Par Chloé Consigny
Allons-nous vers un monde plus féministe ?
Les évolutions que l’on prend pour acquises ne sont pas avérées. En effet, les enquêtes sociologiques menées en Amérique du Nord et en Europe révèlent que seuls 40 % des hommes affirment soutenir le féminisme. Le sexisme augmente, notamment au sein de la société française, comme en atteste le récent rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans le même temps, les femmes sont aujourd’hui beaucoup plus féministes qu’il y a vingt ans, tandis que les enjeux centraux du féminisme restent inchangés. Au cœur des mouvements féministes se trouvent des enjeux d’égalité économique et de lutte contre les violences sexistes.
En soixante ans, rien n’a changé ?
Si, bien sûr ! Le mouvement #MeToo a permis de faire bouger les lignes. L’ensemble des prises de parole individuelles et isolées a induit un effet de vague qui a renforcé les mouvements féministes. Par ailleurs, les mouvements Queer ont apporté des avancées notables sur l’égalité de traitement des personnes mises à l’écart. Cependant, il convient de rappeler qu’au sein de la communauté LGBTQI+, les mêmes mécanismes sont à l’œuvre. Les femmes lesbiennes ont longtemps été, et resent encore, en retrait des hommes gays, blancs et cis, avec une visibilité et un pouvoir économique moindre. Elles revendiquent aujourd’hui l’égalité et apportent beaucoup d’oxygène aux mouvements féministes et anti-racistes. Cependant, la convergence des luttes n’est pas évidente, car toutes les féministes ne sont pas alliées des minorités de genre.
Quelle est aujourd’hui la place des hommes dans le mouvement féministe ?
Ils sont encore peu présents. Cependant, il y a toujours eu des hommes aux côtés des féministes. On peut par exemple citer François Poullain de La Barre qui, dès le 17ème siècle s’engageait en faveur de l’égalité des sexes. Par ailleurs, au sein des mouvements afro-américains, de nombreux hommes s’engagent aux côtés des femmes. Ces hommes engagés existent aujourd’hui partout dans le monde, y compris dans des pays tels que l’Afghanistan. Mais ils demeurent minoritaires et le chemin est encore long. À titre d’exemple, au Québec, le réseau de santé vient de mettre en place des formations à la paternité. En substance, ces formations enjoignent simplement les pères à « aider la mère ».
Quelles sont les évolutions de la place des femmes entreprise ?
Toutes les études montrent les résultats positifs du leadership féminin, notamment en matière de performance. Néanmoins, à l’échelle mondiale, le nombre de femmes dirigeantes de grandes entreprises reste anecdotique.
Comment l’expliquez-vous ?
Il existe trois types de freins au déploiement du leadership féminin : psychologiques, sociaux et politiques. Tout d’abord, les biais de représentation. Une enquête a été mené en présentant le même CV avec le nom d’une femme puis d’un homme. Il apparait que les recruteurs écartent beaucoup plus souvent le CV de la femme que de celui de l’homme, alors que les parcours professionnels et les bagages académiques sont absolument semblables. Ensuite, les réseaux de solidarité entre hommes leur permettent de se coopter. Ces « boys clubs » sont particulièrement à l’œuvre dans le secteur de la Tech où l’on voit des hommes issus des mêmes écoles accéder tour à tour aux plus hautes fonctions. Ils pratiquent les mêmes activités sportives et fréquentent les mêmes lieux. Cet entre-soi masculin renforce leur sentiment de confiance. Enfin, des enjeux de pouvoir sont à l’ordre, il s’agit de ne pas renoncer à une position de pouvoir politique et financier au profil du genre féminin.
De quelles façons les hommes peuvent-ils être alliés du féminisme ?
Plusieurs possibilités d’actions ou de non actions s’offrent aux hommes qui souhaitent s’engager contre les inégalités de genre. Tout d’abord, commencer par s’interroger lorsqu’il est question de féminisme et résister à la tentation d’expliquer aux femmes ce qu’elles doivent penser ou faire. En clair, l’allié ne prend jamais la parole à la place d’une femme. Dans une conversation, il est utile de se demander si vous savez ce que la femme à qui vous parlez sait sur le même sujet et lorsqu’elle parle, demandez-vous également si vous écoutez ce qu’elle est en train de dire ou si vous êtes simplement en train de penser à votre prochaine réplique.
Mais cela ne suffit pas. En entreprise, un véritable allié doit s’assurer que les femmes ont bien la possibilité de prendre la parole, en s’assurant de leur place au sein de l’organisation.
Souvent, les hommes ne remarquent pas les inégalités qui les entourent, soit parce qu’ils ne sont pas directement concernés, soit par aveuglement volontaire. Ils ont donc un travail à faire afin d’observer leur entourage en tentant de comprendre ce qui se joue pour les personnes moins visibles. De manière très concrète, en entreprise cela passe par prêter une attention à la hiérarchie et aux jeux de pouvoir. Cela passe notamment par comprendre les difficultés d’une femme à négocier son salaire à la hausse. La frontière entre les vrais alliés et les faux amis est poreuse : à aucun moment, il ne s’agit de faire à la place des personnes concernées. Il faut simplement participer à rendre l’environnement plus inclusif pour les femmes. L’un des leviers d’actions peut être de briser la connivence entre mâles : une domination de classe se maintient d’autant mieux que les dominants sont solidaires les uns avec les autres et entretiennent leur pouvoir. Il ne faut donc pas éviter de mettre nos collègues face à leur sexisme, y compris lorsqu’ils s’expriment sur le mode de l’humour.
Pouvez-vous nous donner un exemple de parfait allié ?
L’allié parfait du féminisme n’existe pas. Au Canada, Justin Trudeau est cité comme étant progressiste. Cinquantenaire, né dans une famille libérale, il se rend chaque année à la Marche des fiertés. Je pense qu’il le ferait aussi s’il n’était pas premier ministre, car finalement cette lutte est celle de sa génération et il y adhère. Sur la question des femmes, il s’engage. Par exemple, par le biais de la mise en place d’un comité sur le harcèlement sexuel. Néanmoins, au-delà de l’affichage et de l’effet marketing, ses actions manquent de sincérité. De même, en France, le président Emmanuel Macron revendique son engagement contre les violences faites aux femmes. Cependant dans le même temps, il est capable de tenir des propos problématiques sur l’acteur Gérard Depardieu. La vérité nous rattrape plus facilement qu’on ne le pense.
*en québécois, un « poseur » est une personne qui adopte un comportement artificiel et prétentieux