Les avocat·es sont un rouage essentiel du droit pour défendre les personnes LGBTQI+ contre les discriminations. Mais en passant de l’autre côté du miroir, qu’en est-il des discriminations et de la visibilité LGBTQI+ au sein même de la profession?
Par Marie Roy
« Ça va mieux depuis quelques années », c’est le constat unanime fait par toutes les personnes interrogées pour cet article. « Dans les années 1990, c’était compliqué parce que ce n’était pas très bien accepté. La règle, c’était « on ne vous pose pas la question et vous ne dites rien », se remémore Caroline Mecary, avocate et lesbienne, pionnière de l’homoparentalité et auteure de plusieurs ouvrages sur le droit et l’homosexualité. « Mais la société évolue et la profession avec. »
Il fallut tout de même attendre la fin des années 2010 pour qu’une prise de conscience officielle se formalise dans la profession. Celle-ci a notamment émergé grâce à un rapport du Défenseur des Droits daté de 2018. Le document traitait de toutes les discriminations présentes chez les avocat·es et quelques lignes étaient consacrées aux personnes homosexuelles ou bisexuelles. On y apprenait notamment que : « 15,6% des femmes et 19,3% des hommes définissant leur orientation comme homosexuelle ou bisexuelle rapportent avoir été discriminés de ce fait. »
Un manque de visibilité et de chiffres
Parallèlement à cela, le CNB, le Conseil National des Barreaux, c’est-à-dire l’organisation nationale représentant l’ensemble des avocat·es inscrit·es à un barreau français, a également commencé à prendre les choses en main : « Une Commission Égalité a été créée en 2015. Mais au début, nous nous focalisions surtout sur les inégalités femme-homme, qui sont importantes au sein de notre profession. Puis, au fil du temps, nous avons inclus le genre, l’origine, l’orientation sexuelle ou encore le handicap », indique Florence Neple, avocate, membre du Conseil National des Barreaux et présidente de la Commission Égalité.
Ce processus est assez révélateur du manque de visibilité des avocat·es LGBTQI+ au sein de la profession. Cause ou conséquence de cet état de fait, très peu de chiffres concernant spécifiquement les personnes LGBTQI+ existent. Florence Neple reconnaît volontiers le déficit de données et indique avoir commandé une enquête auprès de l’Observatoire de la profession. Car sans statistique, difficile d’établir un constat précis.
2019 : première participation à la Marche des fiertés
Autre jalon important de la visibilité des personnes LGBTQI+ dans la profession : la participation des avocats à la Marche des fiertés à partir de 2019. « À l’époque, ça n’avait pas fait l’unanimité lors du vote. Mais la majorité l’avait emporté, et aujourd’hui, ça n’est plus remis en cause », constate Caroline Mecary. « C’est symbolique, en participant à la marche des fiertés, nous montrons aux confrères et consoeurs appartenant à la communauté LGBTQI + que nous sommes prêts à travailler sur ces questions-là », analyse pour sa part Florence Neple.
Côté associatif, l’unique structure existante a été créée en 2018. Il s’agit de l’Association Française des Avocats LGBT+ (AFA LGBT+). Elle rassemble 200 membres. « Au début, c’était surtout pour soutenir les victimes de discriminations dans l’exercice de la profession, qu’elles soient liées à l’orientation affective et/ou à l’identité de genre », explique Guillaume Marquis, co-président et avocat au barreau de Paris. Il poursuit : « Ensuite d’autres choses se sont ajoutées : un pôle convivialité, un pôle réflexion avec des conférences et des formations et, enfin, la participation à la marche des fiertés. »
Le test de la machine à café
Au-delà des institutions et de l’AFA LGBT+, la visibilité et la lutte contre les discriminations se joue aussi au sein même des cabinets: « Pour moi, le test ultime, c’est de se sentir libre de raconter son week-end à la machine à café sans cacher le fait qu’on soit LGBTQI+ », détaille Guillaume Marquis. Malgré ce constat, le coprésident de l’AFA observe tout de même quelques changements encourageants : « L’arrivée de gros cabinets anglo-saxons a contribué à faire bouger les lignes. Ils sont plus avancés que nous sur les questions LGBTQI+ ». Il ajoute : « Aujourd’hui, un·e jeune diplômé·e qui choisit un cabinet ne regardera pas seulement le salaire ou le temps de trajet. Il ou elle fera attention aux valeurs de l’entreprise : la diversité, l’inclusion ou encore l’écologie sont des facteurs qui sont devenus déterminants. Et ça, les cabinets anglo-saxons l’ont bien compris. Plus que les Français d’ailleurs. »
Les raisons d’une prise de conscience tardive
Après avoir rapidement brossé ce tableau, une question demeure : pourquoi tant de retard à l’allumage chez les avocat·es ? Guillaume Marquis avance une première raison : « L’ordre des avocats de Paris a été fondé au Moyen Âge, nous avons donc hérité de codes et il est difficile de changer ce prisme. » Le coprésident de l’AFA LGBT+ évoque la peur qu’auraient certain·es à révéler leur identité sexuelle : « C’est un milieu feutré, un peu old school, avec ses codes vestimentaires. Il peut y avoir la crainte de venir bousculer cette ordonnance et ce milieu social. Et que, si jamais on le fait, on peut se faire virer du jour au lendemain. »
Pour Florence Neple, la sociologie de la profession pourrait expliquer ce retard à l’allumage : « l’origine sociale, la religion, une certaine forme de traditionalisme sont sans doute en cause. Même si tout cela est en train de changer ». Un autre argument est mis en avant par la présidente de la Commission Égalité : « Longtemps, le discours a été de dire que si nous, avocat·es, avions pour rôle de défendre les citoyens et citoyennes contre les discriminations, elles ne pouvaient pas exister au sein de notre profession. »
Des référents harcèlement et discrimination
Concrètement, des mécanismes ont été mis en place pour prémunir les avocat·es d’éventuelles discriminations. Il existe la possibilité de faire appel au bâtonnier qui pourra, le cas échéant, émettre des sanctions. Néanmoins, « le rapport de 2018 nous apprend que seulement 5% des hommes et femmes victimes ont entamé une démarche », souligne Florence Neple. Ce chiffre étant global, les causes de discriminations subies par les avocats restent difficiles à connaître, impossible donc de savoir où se situent les personnes LGBTQI+ dans ces 5%. Pour tenter de remédier à la situation, des référent·es harcèlements et discrimination ont été désignés partout en France pour couvrir les 164 barreaux. À ce jour, ils sont environ une centaine.
L’autre levier que les avocat·es peuvent activer est la formation. « Je pense qu’une formation en management pour inculquer des notions de diversité et d’inclusion dans les cabinets pourrait vraiment être bénéfique », estime Guillaume Marquis. De son côté, Caroline Mecary dispense tous les ans des formations sur l’homoparentalité, à diverses occasions comme les Assises de la famille ou pour l’école de la magistrature. Le CNB s’y met également : « Nous donnons une formation en juin sur la thématique LGBTQI + à l’occasion de laquelle nous aborderons la question des discriminations », précise Florence Neple. Elle conclut : « Nous nous sommes mis en route, mais il reste du pain sur la planche ».
Et côté justiciable ?
En 2013, Stéphane Cola crée un annuaire des notaires, personnels soignants et avocat·es LGBTQI+ friendly. A l’origine de cette initiative se trouve une nécessité, celle « de pouvoir être soi-même. On doit pouvoir tout dire sans jugement, que ce soit à son notaire, à son docteur ou à son avocat·e. On a besoin de pouvoir faire confiance », indique Stéphane Cola. Il poursuit : « Si l’on sait que l’avocat·e est LGBTQI+ friendly, on se sent en terrain ami. Il y a une bienveillance, mais aussi une compétence, une forme d’expertise de l’avocat·e sur ces dossiers-là. » Actuellement, 120 avocats figurent dans l’annuaire.