Depuis la création du MLF (Mouvement de libération des femmes) en 1970, les militantes lesbiennes n’ont cessé d’œuvrer pour les droits de toutes les femmes. Décryptage des luttes passées et actuelles, qui bénéficient aussi aux femmes hétérosexuelles.
Par Aimée Le Goff
« Ni le mot ‘‘lesbienne’’, ni la politique, ni les modes de vie, ni les œuvres lesbiennes ne sont connues », constate l’activiste et journaliste Alice Coffin dans le premier chapitre de son ouvrage Le Génie lesbien, paru en 2020. Nourri de son expérience militante, son essai raconte ce que signifie être lesbienne à notre époque, et l’invisibilisation associée. Le combat des femmes lesbiennes pour la parité n’est pourtant pas nouveau. Au micro de France Culture, Marie-Jo Bonnet, militante et historienne reconnue, estime que dès les années 70, « il y avait énormément de lesbiennes dans les groupes militants », et que celles-ci constituaient notamment le « fer de lance » du MLF (Mouvement de libération des femmes, fondé en 1970). Inspiré entre autres de la thèse de Monique Wittig, qui concevait l’hétérosexualité comme système politique dominant, le militantisme lesbien continue de lutter contre les discriminations, y compris celles qui touchent les femmes hétérosexuelles.
Faciliter les premières années de maternité
Il y a quelques années, le texte d’Alice Coffin a ouvert les yeux d’Eve Simonet. À 29 ans, la productrice et réalisatrice est à la tête de la plateforme de streaming féministe on.suzane, qui diffuse des documentaires valorisant le regard féminin et queer. L’entrepreneuse a fait son coming out sur les réseaux sociaux fin 2023. Lire des autrices lesbiennes s’est avéré fondamental pour l’affirmation de son orientation affective comme pour la concrétisation de son combat féministe. « Toutes les féministes, même les plus actives, devraient se tourner vers la pensée lesbienne, estime-t-elle. Si on veut œuvrer pour le féminisme et le voir comme une finalité, on ne peut pas s’en passer ».
Soucieuse d’agir en faveur d’une maternité plus sereine, Eve Simonet a fondé, presque en même temps que on.suzane, le Club Poussette. Ce groupe Whatsapp rassemble et soutient, via des groupes de conversation très actifs, 20 000 femmes en post-partum dans 180 villes. L’initiative vise à briser l’isolement vécu par de nombreuses mères durant les trois années qui suivent l’accouchement, tout en abordant les questions de travail et de parentalité inhérentes à cette période. Parmi les autres textes qui ont nourri son militantisme, Eve Simonet cite les ouvrages de Monique Wittig : « Pour faire avancer les droits de toutes les femmes, il est primordial de comprendre ce que les lesbiennes vivent ».
Un féminisme « à l’avant-garde »
Pour Fanchon Mayaudon Courtel aussi, les luttes des féministes lesbiennes ont apporté un éclairage nécessaire sur des sujets touchant toutes les femmes, quelle que soit leur orientation affective. Professionnelle du numérique dans le secteur des banques et des assurances, la militante est à l’origine du collectif #SEOlesbienne, fondé en 2019 pour inciter Google à modifier le référencement du mot « lesbienne », systématiquement associé à des contenus pornographiques. Le combat s’est avéré fructueux. Fait rarissime, la multinationale avait indiqué avoir modifié l’algorithme impliqué à l’occasion d’une conférence de presse.
Cinq ans plus tard, la trentenaire anime le compte RDV au Cecos sur Instagram, en référence aux Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain, qui accompagnent les personnes en parcours de PMA (procréation médicalement assistée). Engagée dans un projet de maternité pour la deuxième fois, elle y documente son parcours ainsi que les difficultés rencontrées pour faire reconnaître ses droits parentaux, et constate : « avec le vote de la PMA pour toutes, nous avons beaucoup renseigné les femmes hétérosexuelles sur le sujet. Certaines d’entre elles ne savaient pas, par exemple, qu’elles pouvaient toujours être rémunérées durant cette période ».
En 2021, la loi de bioéthique a élargi la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Avant cette date, le dispositif n’était accessible qu’aux couples hétérosexuels sur indication médicale. : « En tant que femmes lesbiennes, on est un peu à l’avant-garde sur certains sujets, du fait qu’on est davantage discriminées, résume encore la militante. Une femme célibataire et hétérosexuelle qui est aussi concernée par les enjeux de PMA n’a pas à se soucier de la reconnaissance de son enfant car en accouchant, elle est automatiquement considérée comme mère. Il est toujours plus difficile de se battre pour les sujets qui ne nous concernent pas. En étant femme et lesbienne, je considère que me bats pour toutes les femmes ».
Offrir une multiplicité de modèles
En 2023, la journaliste et autrice féministe Judith Duportail s’est justement exprimée sur l’aide précieuse que lui ont apportée la pensée queer et le militantisme lesbien dans ses réflexions sur la maternité. Célibataire, hétérosexuelle et mère de jumeaux grâce à un parcours de PMA, elle vient d’achever l’écriture de son essai Maternités rebelles dans lequel elle démontre la possibilité de « construire d’autres intimités » et de dissocier la parentalité de la vie sentimentale. Sur ces sujets, Fanchon Mayaudon-Courtel déplore les différences de traitement persistant à l’encontre des couples lesbiens. « La prise en compte de la parentalité lesbienne dans l’hôpital public est une catastrophe. Le personnel médical est très peu formé ».
S’inspirer des transgressions historiques
Elle regrette également que « le mariage lesbien n’apporte aucune filiation, contrairement au mariage hétérosexuel » et que les mesures de reconnaissance de l’enfant aient été pensées selon un schéma hétéronormé. « La mère qui porte l’enfant est considérée comme en parcours par l’administration, alors que dans les faits, nous sommes deux mères à être en parcours », corrige-t-elle. Soucieuse d’informer les couples de futurs parents lesbiens des pièges à éviter, elle a partagé un guide « anti-arnaque » pour prévenir les déconvenues lors des procédures de RCA (Reconnaissance conjointe anticipée) à effectuer chez un·e notaire. Son mot d’ordre ? Transgresser. « Parce que tous les progrès, nous les devons aux personnes qui ont défié la loi ».