Comment les entreprises de la Tech peuvent-elles concevoir des produits et des services à destination du plus grand nombre, en prenant en compte leur identité de genre et leur orientation sexuelle ? La réponse est (presque) simple : en composant des équipes incarnant la diversité. A l’occasion de l’événement Tech & Inclusion organisé par TÊTU Connect quatre professionnels détaillent leur stratégie d’inclusion.
Par Léa Taïeb
Pour composer une équipe à l’image de la société et de sa diversité, une première question se pose, comment recruter de façon LGBT-friendly ? Quels sont les dispositifs à mettre en place pour accueillir tout le monde peu importe son identité de genre, son orientation sexuelle ?
“Il est possible de mettre à l’aise les candidat.e.s avec des petites choses”, estime Carole Juge-Llewellyn, CEO et fondatrice de Joone, une entreprise qui fabrique des produits d’hygiène et de soin pour les familles, les enfants et les mamans. Et de poursuivre : “en entretien, je pose souvent la question suivante : si ton ou ta partenaire était avec moi, qu’est-ce qu’il ou elle dirait à ton sujet ?”. À travers cette question, l’entrepreneuse ne suppose pas que la personne en face d’elle a des enfants, est hétérosexuelle ou est mariée.
Diego Ferri, chargé de la stratégie et des communications chez Fabernovel, rappelle que les entreprises qui ont signé la Charte de L’Autre Cercle – l’association qui agit pour l’insertion professionnelle de la communauté LGBTQ+ – s’engagent déjà à se débarrasser de leurs biais discriminatoires en matière de recrutement. Malgré ce progrès, les sociétés françaises peinent à rattraper certaines de leurs voisines américaines qui s’aident de l’intelligence artificielle (IA) pour sélectionner un échantillon de candidat.e.s inclusif.
L’IA apprend de nos comportements et de nos biais
En France, peu d’entreprises cherchent à corriger les erreurs de l’intelligence artificielle en matière de sélection des profils. “Ces machines apprennent de nous, elles sont notre reflet”, résume Jean-Philippe Desbiolles, vice-président et chargé de la gestion de l’IA chez IBM France. Au quotidien, l’ingénieur s’entoure de personnes de milieux sociaux très différents, ayant suivi des parcours universitaires qui ne se ressemblent pas pour que l’IA soit la plus inclusive possible et prennent des décisions aussi équitables que possible.
Concrètement, comment les entreprises peuvent-elles mettre en place un climat inclusif ? Diego Ferri donne l’exemple de Nokia qui a lancé deux programmes à destination de ses salarié.e.s : l’un s’attache à développer une culture inclusive, une culture de safe space, l’autre forme au leadership des personnes de la communauté LGBTQ+ pour créer des rôles modèles.
IBM engagé en faveur de la diversité du recrutement
Chez IBM, la diversité est au cœur de la stratégie RH. “On recrute des équipes pour créer des lignes de codes à l’image de la société”, explique Jean-Philippe Desbiolles. En ce moment, il travaille sur une technologie open-source “AI Fairness 360” qui identifie les biais dans les lignes de codes et les corrige.
En plus de cette intelligence artificielle “non biaisée”, IBM s’engage à former des étudiant.e.s de la seconde au BTS, à travers ses écoles P-tech. Ce dispositif assure à cette entreprise une diversité de profils dans ses futures équipes et des lignes de codes plus respectueuses et moins discriminantes.
Pour se montrer inclusive, une entreprise doit aussi l’être dans sa communication externe, dans les messages qu’elle véhicule à ses clients. “Depuis nos débuts, les imprimés de nos produits sont non genrés. Dans nos publicités, les parents sont aussi bien des couples homosexuels qu’hétérosexuels. Ce mode de communication nous l’avons imposé dans une industrie qui repose beaucoup sur les stéréotypes de genre”, informe Carole Juge-Llewellyn, la fondatrice de Joone. Depuis peu, la marque s’adresse à un public adolescent “en train de se définir” et propose une gamme genderless.
Faire pression sur le monde de la Tech
Même s’il est clair que les entreprises inclusives sont plus performantes tant sur le plan social que financier, la Tech peine à s’ouvrir sur le monde et sa diversité. Comment faire pression sur ce secteur pour qu’il se décide à recruter autrement ?
“Et si la diversité était un des critères d’accès à la French Tech 120 ?”, propose la CEO de Joone. Les différents interlocuteurs semblent presque du même avis : seuls les indicateurs permettent de faire pression sur les politiques RH. “Si une entreprise est félicitée pour son recrutement, plus de talents voudront la rejoindre”, assure-t-elle. Et d’ajouter : “on attend aussi que le droit social nous suive, qu’il évolue dans le sens de la diversité”. Aujourd’hui, quand Joone accorde un congé deuxième parent (28 jours) à une femme homosexuelle, “on viole la loi au quotidien”.
En complément, Diego Ferri indique qu’aux États-Unis, la loi, les labels ou encore les réglementations incitent les dirigeant.e.s à prendre leurs responsabilités et à embaucher des profils variés.
Amélie Juge, fondatrice de Elaia et chargée de projet chez Sista VC invite les jeunes sociétés à prendre conscience de l’impératif de l’inclusion en effectuant un reporting sur son niveau de diversité. En parallèle, les fonds deviennent de plus en plus soucieux de la composition des équipes des start-up dans lesquelles ils investissent. Parce qu’ils ont compris que la diversité est créatrice de valeurs, de performances. D’après une étude du BCG, la différence en matière de performance économique entre une entreprise inclusive et une entreprise non inclusive est de 9 points de marge.
Pour conclure, Diego Ferri ajoute que le monde de la Tech est voué à s’ouvrir grâce à l’influence du design (et de sa capacité à inclure). De plus en plus de personnes – peu importe leur niveau d’études – pourront entreprendre, créer des prototypes, participer à la créations de nouveaux produits numériques sans avoir un diplôme d’ingénieur.