En France, la loi n’autorise pas les statistiques basées sur l’orientation sexuelle, sur la transidentité comme sur la non binarité. Dans ces conditions, comment les entreprises peuvent-elles mesurer l’épanouissement de leurs salarié·e·s LGBTQI+ ? Quels sont les outils légaux mis à leur disposition pour sentir le pouls ?
Par Léa Taïeb
Avec le cadre légal, peut-on mesurer l’épanouissement des salarié·e·s LGBTQI+ ?
Il n’est pas vraiment possible de mesurer le bien-être des salarié·e·s qui s’identifient comme LGBTQI+. Il est, en revanche, possible de mesurer les efforts des entreprises en matière de diversité et d’inclusion grâce à des solutions comme Mixity. Cette structure évalue la politique d’une entreprise selon cinq critères tels que le genre, l’âge, le multiculturel, le handicap ou encore les personnes LGBTQI+. “Même si nous ne sommes pas autorisés à demander l’orientation sexuelle des personnes qui répondent aux sondages internes, il est toujours possible de poser des questions telles que : est-ce que votre entreprise compte un ERG LGBTQI+ (Employee Resource Groups, un groupe réunissant des personnes concernées et allié·e·s) ? ou Avez-vous été sensibilisé·e aux discriminations LGBTphobes ?”, informe Dominique Crochu, co-fondatrice de Mixity. Et de poursuivre : “En fonction des réponses à ces questions, on peut “apprécier” la maturité d’inclusivité LGBTQI+ de celle-ci”.
Certaines entreprises rusent et utilisent le critère de la cohabitation pour obtenir des données plus concrètes. “Pour cela, il est nécessaire que l’enquête interroge chaque répondant sur la présence d’autres personnes dans leur logement et sur leur genre”, explique Tiphaine Galliez, directrice consulting chez Great Place To Work France, un cabinet qui aide les entreprises à mieux connaître leurs salarié·e·s et l’impact de leur stratégie RH et managériale.
Dans ses études, Great Place To Work pose notamment la question : les collaborateurs sont-ils traités équitablement quelles que soient leurs orientations sexuelles ? “Les réponses nous permettent de déterminer une tendance”, traduit Tiphaine Galliez. Pour information, sur l’ensemble des actifs français ayant répondu à la question en 2022, 66% estiment que les collaborateurs sont équitablement traités quelles que soient leurs orientations sexuelles.
Depuis 2021, Great place to work a intégré une nouvelle information démographique dans ses enquêtes, les personnes répondantes peuvent indiquer si elles s’identifient en tant que femme, homme ou non binaire. “Aujourd’hui, nous ne savons pas tellement comment comprendre le pourcentage de personnes non binaires puisque nous n’avons pas d’élément de comparaison, nous ne savons pas combien de personnes en France se revendiquent comme telles”, remarque la directrice consulting.
Comment mesurer l’impact des actions pro-diversité LGBTQI+ ?
Si de rares études existent, à l’instar de celle réalisée par le cabinet Boston Consulting Group en partenariat avec têtu·,“il est possible de mesurer l’impact d’une politique inclusive envers les personnes LGBTQI+ sans toujours se reposer sur des statistiques”, assure Thomas Delano, directeur associé au BCG et responsable du réseau LGBTQI+, Pride@BCG. Et d’ajouter : “une des mesures de l’épanouissement des personnes LGBTQI+ que nous utilisons est le niveau de développement du réseau Pride dans chaque bureau”. Autrement dit, plus un bureau mobilise du monde (personnes concernées comme allié·e·s), plus il est en avance sur les sujets d’inclusion. “Cet exercice de comparaison pousse les retardataires à prendre des mesures”, commente Thomas Delano. En Europe, le réseau est passé de 200 membres à 400 en l’espace de deux ans, sans que le nombre de salarié·e·s ait doublé au BCG.
Néanmoins, il est difficilement possible de changer ce qui n’est pas bien évalué. Ainsi, chaque année, le BCG s’intéresse à l’épanouissement de l’ensemble de ses employé·e·s et pose des questions sur l’inclusion des femmes, des personnes en situation de handicap ou encore des personnes LGBTQI+. À travers un baromètre, les questions suivantes sont posées : selon vous, l’environnement de travail incarne-t-il assez la diversité ? Connaissez-vous le réseau Pride et les actions qu’il mène ? “La diversité n’est pas que l’affaire d’une communauté, c’est une question qui concerne tout le monde”, rappelle le responsable du réseau Pride. Selon lui, une politique inclusive peut être mesurée au travers d’indicateurs tels que le taux de rétention. “En général, on reste dans une entreprise parce que l’on s’y sent bien”, estime-t-il.
Chez Accenture, des focus group sont mis en place et réunissent l’ensemble des salarié·e·s peu importe leur identité de genre ou leur orientation sexuelle. “Nous avons interrogé un groupe sur les diversité LGBTQI+ pour comprendre comment les actions étaient accueillies, et si les actions étaient connues”, résume Elodie Paris, responsable Inclusion & Diversité chez Accenture France. Et de compléter : “Nous avons pris conscience du rôle des allié·e·s dans l’inclusion des personnes LGBTQI+”. Suite à ces échanges, Accenture a tenu à former ses collaboratrices et collaborateurs pour en faire des allié·e·s prêt·e·s à sensibiliser, désamorcer des situations, intervenir en cas de propos discriminants. Pour être au plus près des salarié·e·s et de leurs préoccupations, le groupe les encourage à remonter des situations gênantes qu’ils ou elles pourraient observer.
Pourquoi les entreprises cherchent-elles à en savoir sur l’impact de leur politique inclusive ?
Aujourd’hui, les entreprises qui peinent à recruter des millenials (dont une partie sensible se revendique non binaires) adoptent des politiques inclusives pour renouveler leurs équipes, pour incarner les diversités de la société. Mais comment faire confiance à ces entreprise ? Sont-elles sincères ? Comment savoir si elles pratiquent le pinkwashing ? Il est possible de les mettre à jour en mesurant l’efficacité de leurs actions en faveur des LGBTQI+, en ayant accès à leurs données en toute transparence. D’après l’étude Mixity sur les tendances en matière de diversité et d’inclusion réalisée en septembre 2021, 37% des entreprises accompagnées par Mixity mènent une politique active en faveur de l’inclusion des personnes LGBTQ+ et 35% condamnent les attitudes homophobes et transphobes dans un document formalisé en interne.
“Il y a dix ans, le bien-être des personnes LGBTQI+ n’était pas du tout pris en compte, ce n’était pas un critère d’évaluation”, constate Dominique Crochu. Depuis peu, l’épanouissement des salarié·e·s LGBTQI+ se révèle une priorité pour certains employeurs. Une bonne stratégie quand on sait que “75% des personnes en recherche d’emploi s’intéressent aux actions diversité et inclusion de leur futur employeur”, rapportait Sandrine Charpentier, CEO de Mixity.
Quel est le futur de ces instruments de mesure ?
“Nous avons construit avec Têtu l’évaluation Human LGBT+ qui analyse le ressenti des collaborateurs et collaboratrices sur l’inclusion des personnes LGBT+”, annonce enthousiaste Dominique Crochu, co-fondatrice de Mixity. Ce sondage anonyme pose un certain nombre de questions comme par exemple : “est-ce facile/difficile de s’assumer en tant que LGBTQI+ dans cette entreprise ?” Ce système d’évaluation interroge aussi bien les personnes concernées que non concernées qui se portent volontaires pour faire partie des sondé·e·s. “Avec cet outil, les sentiments des employé·e·s permettent de mesurer l’inclusion dans l’entreprise”.
Au fil du temps et des préoccupations sociales, les enquêtes posent de nouvelles questions. “Aujourd’hui, l’intersectionnalité est un sujet qui arrive sur la table. Nous nous demandons comment il pourra se matérialiser dans un questionnaire”, s’interroge Thomas Delano du BCG. Même si les entreprises sont incapables de mesurer précisément l’épanouissement de la communauté LGBTQI+ en leur sein, certaines s’y intéressent de plus en plus et travaillent pour assurer un climat LGBTQI+-friendly.