De plus en plus d’entreprises prennent le sujet de l’inclusion des personnes transgenres au sérieux. Comment faciliter la transition d’un.e employé.e ? Comment créer les conditions favorables à son épanouissement ? Qu’est-ce qu’une entreprise accueillante ?
Par Léa Taïeb
“En 2018, on ne parlait pas de transidentité en entreprise. Même si je travaillais à Radio France, une boîte assez ouverte, j’avais peur de passer d’une apparence masculine à une apparence féminine. Oui, j’avais peur d’etre rejetée en tant que femme transgenre”, confie Béatrice Denaes, journaliste et autrice du livre Ce corps n’était pas le mien (First Éditions).
En France, chaque année, des personnes transitionnent de genre. Chaque année, des transgenres évoluent dans des entreprises “peu sensibilisées” et souffrent du regard de leurs collègues, supérieur.e.s, responsables RH. Elles vivent une véritable épreuve. Comment les entreprises peuvent devenir des alliées ? Comment garantir l’ascension professionnelle des personnes transgenres ? Comment assurer leur bien-être ?
Des formations pour déconstruire les préjugés
Depuis son départ à la retraite, Béatrice Denaes intervient dans de nombreuses entreprises pour éduquer aux questions de genre et de transidentité. “C’est en luttant contre la méconnaissance qu’on lutte contre la transphobie”, explique-t-elle. Selon elle, l’entreprise doit proposer des formations pour que ses collaboratrices et collaborateurs déconstruisent leurs préjugés. “Ce sont toujours les mêmes poncifs qui reviennent”, constate tristement Françoise Bouyer qui dispense des formations sur le genre et les valeurs genrées dans les cultures des groupes du CAC 40. Et de poursuivre : “on assimile la transition de genre à un changement d’orientation sexuelle. On pense aussi que la transidentité est une maladie psychiatrique, qui altère forcément les compétences professionnelles de la personne concernée”. Ces fake news portent évidemment atteinte à l’employabilité des personnes trans. Certaines mettent des années à prouver qu’elles sont compétentes et à retrouver un travail à leur hauteur. D’autres préfèrent se reconvertir et exercer des métiers plus indépendants.
Dubuis, l’exemple à reprendre
Chez Dubuis (entreprise du groupe américain Stanley Black&Decker – SBD), on se mobilise pour l’inclusion des personnes trans depuis plusieurs années déjà. “Ici, chaque employé.e (sur les 54.000) a suivi une formation sur les préjugés inconscients qui touchent notamment la communauté LGBT”, informe Christophe Jarrin, le président de Dubuis. L’entreprise encourage aussi la création de groupes d’entraide, l’un d’eux porte sur la thématique LGBT. Régulièrement, les membres de ce groupe se retrouvent pour partager leur réalité, se conseiller, être solidaires les uns des autres. En plus de ce dispositif, Dubuis marque la Journée du souvenir trans le 20 novembre, lève le drapeau LGBT du 1er au 30 juin (pendant le mois des fiertés) depuis 2018 et organise chaque année une journée “Out & Equal” pour faire évoluer les mentalités.
En France, le groupe fait figure de pionnier. Comment expliquer une telle avance ? “Sous Trump, les personnes victimes d’homophobie et de transphobie ne se sentaient plus soutenues par l’administration [disparition de la page LGBT sur le site du gouvernement pendant son mandat, exclusion de militaires trans dans l’armée]. Dans ce contexte, de grandes entreprises comme Apple, Boeing, Nestlé USA ou notre groupe ont pris le relai en rejoignant Out & Equal (association qui milite pour l’inclusion des personnes LGBTQ+ au travail) afin que l’ensemble de leurs salarié.e.s puissent être eux/elles-mêmes au travail”, rapporte le président de Dubuis.
Pour être toujours plus inclusif, le groupe travaille main dans la main avec Chrysalide, une association qui lutte contre la transphobie en entreprise, qui a mis au point un guide des bonnes pratiques RH depuis 2011. “Grâce à ces ressources, on sait comment mieux accueillir une personne trans dans l’entreprise. Par exemple, les locaux sont adaptés aux différentes identités de genre puisque des toilettes non genrées sont prévues. Mais surtout, à la demande de la personne concernée, le prénom qui correspond à son identité de genre apparaît dans son adresse mail, sur ses bulletins de paie, sur tous ses documents administratifs, cela, même si son état-civil n’est pas actualisé”, indique Christophe Jarrin.
L’Autre Cercle accompagne une centaine d’entreprises
En 2019, l’Autre Cercle, une association qui milite pour l’inclusion des personnes LGBT+ au travail, a réalisé un guide des bonnes pratiques pour les managers et les DRH et une Charte d’Engagement LGBT+.
Comme plus d’une centaine d’organisations, Radio France est signataire de la charte et prend, depuis peu, des mesures concrètes : elle a nommé un rôle modèle, une personne qui témoigne pour sensibiliser et défendre la communauté LGBT. Elle a recruté un.e référent.e pour permettre aux salarié.e.s qui le souhaitent de se confier sur leur transition et d’être accompagné.e.s dans la bienveillance. Elle veille également à ce que les managers, les collègues, les RH soient formé.e.s et adaptent leur communication à la personne en transition. Pour la mettre en confiance, certain.e.s pourront lui poser plusieurs questions telles que : “comment envisagez-vous de communiquer en interne sur votre transition ? Ou avez-vous besoin d’un aménagement particulier ?”, conseille le guide.
L’Autre Cercle comme d’autres associations insistent sur le rôle des entreprises en cas de discrimination, d’agression ou de harcèlement. “Elles doivent faire preuve d’une tolérance zéro à l’égard des auteur.e.s de ces violences et rappeler que les discriminations sont punies par l’entreprise et la loi (jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende)”, soutient Cyane Dassonneville, consultante et coordinatrice du Comité d’Usagers Trans.
Les entreprises ont tout intérêt à viser l’inclusivité
Une entreprise qui accompagne la transition de ses salarié.e.s s’engage à leur épanouissement professionnel. En conséquence, une personne transgenre, soutenue par ses supérieur.e.s et ses collègues, a plus de chances de performer qu’une personne qui travaille dans une entreprise discriminante envers les personnes trans.
Aussi, l’engagement d’une entreprise en faveur de l’inclusion des personnes LGBTQ+ peut jouer en faveur de sa marque employeur et attirer plus de jeunes diplômé.e.s. Aujourd’hui, une organisation qui accompagne le changement d’identité de genre est en phase avec les préoccupations des nouvelles générations. C’est une entreprise que l’on peut avoir envie de rejoindre.
Focus sur la loi de la modernisation de la justice du XXIème siècle en France et sur la loi transgenre en Belgique
En France, la loi du 18 novembre 2016 permet aux personnes trans de changer d’état civil sans avoir besoin de fournir des documents médicaux. Avant ce texte, les personnes trans devait prouver un changement de sexe (via une intervention chirurgicale et/ou un traitement hormonal) pour prouver leur nouvelle identité de genre. Mais, selon SOS homophobie, la procédure est toujours lourde puisqu’elle impose de passer devant un juge et ne peut se faire en mairie. Aussi, les juges peuvent rendre des décisions arbitraires puisqu’ils n’existent pas de politique nationale harmonisée sur laquelle s’appuyer.
En Belgique, la loi transgenre du 1er janvier 2018 donne la possibilité aux personnes trans de changer, auprès d’un fonctionnaire de l’état-civil, d’identité de genre et de prénom sans condition médicale (sans acte chirurgical, sans stérilisation, sans examen psychiatrique). Cette loi autorise les personnes de 12 ans et plus à changer de prénom en accord avec leur nouvelle identité de genre et les personnes de 16 ans et plus à changer d’identité de genre dans l’acte de naissance. Le texte demande aussi aux personnes mineures de consulter un psychiatre avant d’acter le changement. En général, cette procédure dure six mois.