Il suffit d’écouter tous ceux qui sont passés par là pour savoir que c’est un tournant qui ne s’oublie pas, que le jour où ils ont osé parler reste pour eux un souvenir indélébile… Chaque année, le 11 octobre, la Journée internationale du coming-out est l’occasion de rappeler que le terme vient de l’expression « coming out of the closet » - traduisez « sortir du placard ». Ce placard où l’on se cache par peur d’affronter le regard des autres, de ce qui pourrait arriver si l’on annonce à Papa-Maman, un ami, à ses collègues ou à son boss que l’on nourrit du désir pour les personnes de même sexe.
Par Stéphanie Gatignol
Plutôt que du coming-out au singulier, sans doute serait-il plus judicieux de parler « des » coming-out au pluriel. Car se confier sur son orientation sexuelle ou son identité de genre ne se fait pas d’un bloc, mais généralement par étapes dans chaque cercle – amical, familial, professionnel – où l’on gravite. Sur l’échelle de la confiance, l’environnement de travail doit améliorer ses performances. Si l’on en juge par les résultats de la 2ème édition du Baromètre L’Autre Cercle – IFOP publiée en février 2020, il demeure peu propice à jouer cartes sur table : seule une personne sur deux affirmait être visible de ses collègues ayant un même niveau hiérarchique et 39 % des sondés déclaraient l’être de leur supérieur direct.
Des conjoint(e)s invisibles sur la mutuelle
« 46 % des collaborateurs LGBT renoncent à participer à un évènement organisé par l’entreprise où les conjoint(s) sont invité(e)s ; 28 % à inscrire le nom de ce partenaire sur leur mutuelle »
Face à la famille, les réticences au coming-out tiennent à la peur de décevoir les siens, de ne plus en être aimé, de les faire souffrir, de les exposer aux regards des autres… Au travail, ce sont d’autres freins qui entravent le grand saut. Pas envie de réduire son identité à sa sexualité, de se coller une étiquette sur le front en devenant le gay ou la lesbienne de l’open-space, d’être affublé de stéréotypes. La crainte des discriminations, de voir sa carrière, ses promotions entravées, incitent aussi à préférer l’ombre. L’appréhension est telle que certains étudiants sortis du placard retournent dans leur planque une fois qu’ils décrochent un job. D’autres, « out » avec leurs proches, compartimentent leur vie et enfilent leur cape d’invisibilité dès qu’ils badgent, avec tout ce que cette stratégie comporte d’énergie dépensée en contorsions grammaticales pour « neutraliser » l’identité de leur moitié(e) et de frustrations à ne pas pouvoir partager la joie d’un week-end sympa. Selon le baromètre, 46 % des sondés ont déjà renoncé à participer à un évènement organisé par l’entreprise où les conjoint(s) étaient invité(e)s ; 28 % à inscrire le nom de ce partenaire sur leur mutuelle.
Être attentif… jamais intrusif
Chef de projet de cette étude et des Rôles Modèles LGBT+ et allié(e)s de L’Autre Cercle, Alain Gavand insiste sur deux points : « Le coming-out en entreprise peut s’effectuer de façon anodine. Il n’implique pas une annonce tonitruante avec un communiqué de presse et un e-mail envoyé à tous ses collègues ! » Quant à ceux qui pourraient considérer que cette question relève de la vie privée, il souhaite leur faire comprendre « qu’il ne s’agit pas pour les personnes LGBT+ de parler de ce qui se passe en dessous de la ceinture ; juste de pouvoir raconter leur vie quotidienne, banale, comme le font leurs collègues quand ils évoquent leurs vacances ou leur famille ». Si un manager devra se garder d’être intrusif face à un employé, il s’efforcera, en revanche, de se montrer attentif si celui-ci lui envoie des signaux qui manifestent une envie de visibilité. « De nombreux évènements qui rythment la vie de la société ou de l’entreprise peuvent servir de points d’accroche pour mettre ces sujets sur la table et offrir à certains de se rendre visibles sans que ce soit solennel », estime notre interlocuteur. Je pense à la Journée internationale de lutte contre l’homophobie le 17 mai, au Mois des fiertés, aux éditions de nos Rôles-Modèles etc.»
L’outing : une violence faite aux LGBT +
Ceux qui plaident pour la sortie du placard avancent deux arguments en sa faveur : elle favorise un mieux-être et, par contrecoup, une plus grande performance bénéfique à l’employeur. Sur un plan collectif, c’est aussi un acte de solidarité qui incitera peut-être d’autres actifs à emprunter le même chemin. Pour autant, la décision de se rendre visible (ou pas) appartient à chacun… même si des esprits malintentionnés peuvent être tentés de l’oublier ! Toujours selon le baromètre L’Autre Cercle-IFOP, 11 % des personnes interrogées ont été menacées de voir leur orientation ou leur identité sexuelle révélées contre leur gré. Dans 24 % des cas, cette menace a été formulée par un supérieur, dans 57 % par un collègue ayant à peu près le même niveau hiérarchique, dans 31 % par un subordonné.
L’outing, parfois baptisé « coming-out forcé » s’est, par le passé, invité en Une des journaux. En 1999, en France, des militants d’Act Up ont envisagé d’en faire usage contre un député de l’opposition homosexuel qui avait défilé lors d’une manifestation anti-PACS, sans réagir aux slogans homophobes. L’épisode avait, alors, ravivé la question légitime d’employer cette arme pour dénoncer le décalage entre la vie privée d’une personnalité et ses positions publiques.
Si le recours à cette attaque à des fins militantes peut susciter le débat, son utilisation dans le cadre de l’entreprise ne saurait bénéficier d’une quelconque justification : cette délation appelle à une condamnation ferme et sans équivoque. « Si l’on dispose d’éléments factuels, il faut que le manager intervienne et sanctionne, assure Alain Gavand. C’est très difficile parce que la manœuvre se passe souvent à l’insu de la personne visée, derrière son dos, sans que ce soit facile à prouver ». Et que ce type d’agissement résulte d’une LGBTphobie avérée ou soit un « simple » coup bas pour saper la côte d’un rival, peu importe : il est bien plus qu’une malveillance. « C’est une violence faite aux personnes LGBT+ dont les conséquences peuvent être extrêmement néfastes. La gravité de cet acte est méconnue et les formations de sensibilisations aux discriminations doivent vraiment insister sur le fait que celui qui le commet franchit une ligne rouge inacceptable ».
L’inclusivité, ça fonctionne !
Pour contrer cette agression, le coming-out peut aussi être envisagé comme le meilleur rempart. Être visible, ce n’est pas seulement se libérer de la pesanteur du secret. C’est aussi ne laisser aucune prise au chantage et lui couper l’herbe sous le pied avant même qu’il n’ait eu la tentation de germer. Dans cette optique, une politique de Ressources Humaines inclusive peut faire la différence. Le baromètre IFOP met en lumière l’effet positif de la Charte d’engagement LGBT+* de L’Autre Cercle : la proportion de personnes visibles de leurs collègues grimpait à 66 % au sein des organisations qui l’avaient adoptée et à 48 % quand il s’agissait de leur supérieur direct. Quant aux employés menacés de voir leur orientation sexuelle révélée, ils n’étaient « plus que » 4 %. Lorsque chaque entreprise aura pris conscience que le coming-out représente un enjeu majeur pour son personnel LGBT+, à elle d’engager deux chantiers intimement liés. Construire un cadre rassurant pour favoriser son éclosion, tout en s’attachant irréductiblement à mettre l’outing… en boîte !
* Ses signataires s’engagent à créer un environnement inclusif et à veiller à une égalité de droit et de traitement entre tous les salarié(e)s quelle que soit leur orientation sexuelle ou identité de genre.