Des réseaux professionnels et associations LGBT+ fleurissent, timidement mais sûrement, au sein des entreprises, depuis plus de vingt ans en France. Comment créer ce type de groupe ? La réponse en cinq points.
Par Alexandra Tizio
Définir les objectifs
On distingue deux sortes de groupes LGBT+ en entreprise : les associations à statut juridique et les réseaux de collaborateur·ice·s – baptisés Employee resource groups (ERG). Nicolas Pirat-Delbrayelle, créateur de développement inclusif pour TÊTU Connect, met en avant deux enjeux principaux : la visibilité et « la démonstration de normalité ». Ces groupes « montrent que les personnes LGBT+ savent s’inscrire dans un monde qui n’est pas pensé pour eux », spécifie-t-il. Une démarche rassurante pour les parents de jeunes ayant fait leur coming out, par exemple.
Le concept est né dans les pays anglo-saxons, où la notion du vivre ensemble repose sur un modèle multiculturaliste. Dans la culture française, le communautarisme est perçu de manière négative. Pourtant, ces groupes LGBT+ ont commencé à voir le jour dans l’Hexagone au début des années 2010 de manière visible, bien que certaines entreprises se soient lancées plus d’une décennie auparavant. « Il y a deux angles de vue : les entreprises anglo-saxonnes implantées en France au tout début des années 2000, voire dans les années 1990 pour IBM, et les entreprises françaises implantées à l’international », souligne Nicolas Pirat-Delbrayelle.
Si certains ERG ont réussi à s’implanter en France dans les entreprises anglo-saxonnes, c’est qu’elles ont su éviter le piège du « copier-coller ». Le directeur de projets recommande de « prendre en compte toutes les spécificités françaises, à commencer par la notion d’universalisme. Un ERG français est apolitique, laïc et non communautaire ». De plus, les membres fondateurs ont tout intérêt à « déconstruire les stéréotypes et construire une vision positive du réseau professionnel LGBT+, en s’adressant aux 90 % de la population ». Geoffroy Seghetti, fondateur du réseau Pride Paris et co-responsable de Pride Europe chez Mastercard, abonde dans son sens : « Tout le monde sera concerné par le sujet LGBT+ à un moment donné de sa vie, que ce soit par un parent, un enfant, un ami. Je veux absolument sortir du cadre communautaire, en parlant à tous. » Pour définir la ligne directrice du groupe, les objectifs doivent être adaptés à l’entreprise.
S’adresser aux bons interlocuteurs
Exposer son projet à la direction générale est incontournable. Pour ce faire, les arguments à mettre en avant sont multiples. « La direction est sensible au bien-être et à la productivité des collaborateurs », note Nicolas Pirat-Delbrayelle. Selon une enquête Out Now intitulée « LGBT 2020 » et publiée en 2015, en France, une personne LGBT+ visible sur son lieu de travail serait 28 % plus productive. Aussi, les entreprises économiseraient plus de deux milliards d’euros si leurs salarié·e·s sortaient du placard. Autre argument : un groupe LGBT+ permet de booster la marque employeur, de deux façons. « En interne, puisque cela met en lumière les différences qui sont des valeurs ajoutées. En externe, parce que les entreprises inclusives captent les talents. » Arrivent ensuite les Ressources humaines, puis le département de diversité et inclusion. « Si cette structure existe dans l’entreprise, cela permet de s’enrichir d’expériences passées et d’y apporter sa pierre ». Enfin, les services de communication interne et externe.
Par ailleurs, certains trouvent du soutien auprès d’autres groupes de l’entreprise. Geoffroy Seghetti a organisé un événement commun avec le réseau féminin de Mastercard – le plus fort de l’entreprise, en 2017. « C’était une façon d’aborder le sujet de manière intersectionnelle, et de maximiser la présence de nos collègues. » Pari relevé : la salle était pleine. Nicolas Pirat-Delbrayelle appelle toutefois à la vigilance : « Dans de nombreuses entreprises, le réseau le plus important ou le plus ancien a été un frein à la croissance du réseau LGBT+. »
Constituer son équipe
Pour Vincent Sepulveda, fondateur de GLEAM France chez Microsoft, « fédérer » est le mot d’ordre. Il a constitué son équipe en été 2018, grâce au bouche-à-oreille. « Je voulais faire attention à ne pas outer des gens qui ne voulaient pas l’être », raconte-t-il. Après avoir rencontré chaque personne motivée par le projet, il les a mises en garde. « Je voulais que chacun prenne sa décision en âme et conscience, en connaissant les risques d’être potentiellement confronté à de mauvaises réactions. » Nicolas Pirat-Delbrayelle conseille de « donner le plus de diversité possible à ce noyau créatif, avec du L, du G, du B et du T ».
Les allié·e·s sont aussi essentiel·le·s. Capucine Simon, membre du board de GLEAM France, peut en témoigner : « Au début, certaines personnes pensaient que la communauté LGBT+ n’était pas un sujet à aborder en entreprise, donc on a dû faire de la pédagogie. Je pense que le message passe mieux quand il vient de l’extérieur, parce qu’il y a moins cette impression de prêcher pour sa paroisse. »
Trouver les budgets
Les financements se trouvent auprès des unités opérationnelles. Les entreprises peuvent mettre des subventions ou allocations financières, ainsi que des locaux dédiés, à disposition des ERG. De son côté, Vincent Sepulveda a obtenu des budgets de la part de GLEAM Worldwide, le réseau mère de Microsoft aux États-Unis, ainsi que de la part d’équipes locales et de la direction générale de Microsoft France. Quant à Geoffroy Seghetti, il s’est tourné vers le service marketing.
Mettre les actions en place
Événementiel, sensibilisation, réflexion, soutien individuel… Les actions s’organisent sous différentes formes. Chez Mastercard et Microsoft, comme dans de nombreuses entreprises, les groupes s’appuient sur les temps forts de l’année, à l’instar du mois des fiertés ou de la Pride. Au niveau interne chez Microsoft, un forum diversité et inclusion permet de présenter les objectifs du réseau GLEAM France. Des sessions de sensibilisation au sein des équipes sont par ailleurs mises en place, notamment pour présenter l’ERG aux nouveaux·elles arrivant·e·s ; des ateliers pour former les managers à l’inclusion, et bien d’autres.
Dans cette entreprise, l’impact externe s’est concrétisé par des partenariats avec certaines associations (Le Refuge, L’Autre Cercle,…). « On a voulu couvrir toutes les tranches d’âge. On est en train de construire un partenariat avec l’association Grey Pride, qui lutte contre l’isolement des personnes seniors », fait valoir Vincent Sepulveda. Chez Mastercard, le réseau Pride a impulsé la fonctionnalité True Name, qui permet aux personnes transgenres et non-binaires de choisir le prénom inscrit sur leur carte bancaire. « J’ai repris le concept qui est né aux États-Unis en 2019, pour le lancer en Europe en l’adaptant au contexte et à la réglementation européenne », explique Geoffroy Seghetti.
Pour l’heure, les groupes LGBT+ sont principalement créés au sein des grandes entreprises. « Souvent, les PME et ETI n’ont ni de budget, ni de direction diversité et inclusion. Ça ne veut pas dire qu’elles ne sont pas inclusives, précise Nicolas Pirat-Delbrayelle. Il faut amorcer la pompe, mais cela ne peut se faire en distanciel. »