En quelques années, Mélanie Lafuma, codirigeante de la marque Senza, a fondé une famille, quitté le groupe qui l’employait depuis des années et décidé de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Un parcours brillant qu’elle détaille volontiers, tout en livrant sa vision de l’inclusion en entreprise.
Par Aimée Le Goff
Elle dégage un air de force tranquille. Assise devant une tasse de café, elle a eu le temps de « passer au bureau, juste à côté », avant de s’installer dans cette brasserie du 18è où nous avons rendez-vous. Il y a deux ans, la vie de Mélanie Lafuma a changé. Ancienne responsable de stratégie digitale dans la distribution vidéo, elle est aujourd’hui associée chez Senza, une marque parisienne de produits d’entretien et de cosmétiques 100% bio composés, elle insiste, d’ingrédients quasi exclusivement français. « Nous avons intégré notre atelier de production en interne. Nous livrons nos produits en Île-de-France, à vélo ou en véhicule électrique, dans des contenants consignés ».
« Un changement s’opère »
Mélanie Lafuma découvre le goût de l’aventure jeune. Enfant puis adolescente, elle oscille entre le Mexique, le Maroc, la Hongrie et l’Australie pour la carrière de son père, directeur financier dans une multinationale de santé. Rentrée en France pour ses études, elle garde un souvenir mitigé de l’école de commerce : « J’y ai surtout créé de belles amitiés. Question diversité, l’ambiance laissait à désirer, à force de blagues lourdes. Je pense que je fais partie de la dernière génération à y avoir assisté. Un réel changement s’opère, au moins dans les grandes villes ». Animée par le challenge entrepreneurial, convaincue de la nécessité d’une consommation responsable et locale, Mélanie Lafuma se plaît aujourd’hui à s’investir dans une entreprise qui coche la case du triple zéro. Zéro pesticide, zéro déchet, zéro carbone.
« À une époque, je me sentais incapable d’en parler au travail »
Le marché des produits d’entretien écologiques n’est pas son premier monde. Ce qui la passionne longtemps, c’est d’abord le cinéma. Xavier Dolan, les films français, les thrillers…Deux fois par semaine dans les salles obscures, jusqu’à l’arrivée des enfants. Elle sourit : « En ce moment, je regarde surtout des films d’animation ». Après un master en management des médias, elle intègre un groupement d’intérêt économique (GIE) qui assure la distribution vidéo de trois studios de cinéma. Elle y reste douze ans et gravit les échelons, de stagiaire à responsable digital, en passant par un poste de cheffe de projet marketing.
De cette expérience, Mélanie Lafuma conserve l’image d’une « ambiance familiale ». Quid de la culture hétéronormative présumée dans certains groupes ? « J’étais en couple avec un homme à mon arrivée. Tout le monde a supposé que j’étais hétérosexuelle. Plus tard, j’étais avec une femme et je n’ai rien dit à personne de ce changement. À cette époque, je me sentais incapable d’en parler au travail ».
« Je me suis sans doute dit qu’être out pouvait m’empêcher d’évoluer »
À la machine à café, elle élude le pronom de sa partenaire, les questions sur sa vie personnelle. « C’était au moment du mariage pour tous, période que j’ai très mal vécue. C’est difficile d’entendre des remarques homophobes et de se sentir incapable de s’interposer ». Elle tient à nuancer : « Cela venait de quelques personnes, plutôt que de la culture de l’entreprise. Je garde beaucoup de tendresse pour ce groupe. À cette période, je me suis sans doute dit qu’être out pouvait potentiellement m’empêcher d’évoluer. C’était peut-être totalement faux ». Elle se marie en 2016 sans avertir les personnes avec qui elle travaille, « sauf les plus proches, invité·es ». Le mariage est un déclic, elle en parle finalement à son retour de vacances. « C’était un peu ridicule, plaisante-t-elle. Tour à tour, je suis allée voir des collègues pour leur annoncer la double nouvelle : je venais de me marier, et avec une femme. Les réactions ont été très positives ». Mélanie Lafuma reconnaît avoir eu besoin de ce point de bascule. « C’était officiel, nous étions mariées. Il n’y avait pas à en faire un sujet ».
« De la curiosité pas du tout malsaine »
Un autre moment clé s’opère lorsque, de passage durant son congé maternité, elle présente son premier enfant. « Des collègues, dont je n’étais pas spécialement proche, m’ont posé des questions sur le père. J’ai répondu que mon fils avait deux mamans. Il y a eu un silence, suivi de beaucoup de questions. C’était de la curiosité, mais pas du tout malsaine. Quand il y a autant de bienveillance, je n’ai aucun mal à poursuivre la conversation ».
Plus tôt, le jour de l’accouchement de son fils, Mélanie Lafuma apprend que le groupe qui l’emploie depuis dix ans est racheté. L’événement ouvre la porte aux questionnements, l’entrepreneuriat l’habite depuis longtemps. « Le rachat signifiait aussi des licenciements économiques, et je commençais à avoir envie d’autre chose ». Un plan économique s’amorce. Il faudra deux ans pour le concrétiser. Mélanie Lafuma rejoint officiellement Senza en janvier 2021, après avoir été sollicitée par son amie et actuelle associée, Laura Schorestene, fondatrice de la marque.
« L’inclusion, c’est quand ce n’est plus un sujet »
En matière d’inclusion, Mélanie salue les initiatives des entreprises. « Forcément, lorsqu’on intègre des actions concrètes dans les politiques d’entreprise, on donne un message d’ouverture fort aux employé·es qui se disent qu’il est possible d’être soi-même, sans s’inventer un·e partenaire ». Chez Senza, on n’exclut pas la mise en place d’actions similaires. « Si nous nous agrandissons vraiment, ce que je nous souhaite (Senza compte à ce jour quatre salarié·es à temps plein, ndlr), nous pourrions penser à ces initiatives ». Sans oublier de préciser : « Pour nous, l’inclusion, c’est quand ce n’est pas un sujet. Je suis favorable à ces politiques, mais je serai heureuse le jour où nous n’en n’aurons plus besoin ».
Pour découvrir Senza : https://senza-nature.fr/