Pas facile d’engager les entreprises dans une stratégie d’achat à la fois responsable et inclusive. Le septième webinar mis en place par Têtu Connect en témoigne. Déjà déprogrammé en 2020 faute d’intervenant·e·s, ce webinar s’est tenu avec pour unique orateur coté entreprise : Jean-Louis Carvès, D&I Engagement Partner chez IBM France. Si toutes les entreprises contactées ont fait part de leur vif intérêt pour le sujet (comme en témoigne le nombre de participants au webinar), aucune n’a, en revanche, souhaité prendre la parole. Pour Nicolas Pirat-Delbrayelle, créateur de développement inclusif pour Têtu Connect et modérateur de l’événement, « s’il y a un tel silence autour de ce sujet, c’est qu’il y a un sujet à explorer » !
Par Chloé Consigny
Force est de constater qu’en France et en Europe, le sujet du respect de la diversité dans la fonction achat en est à ses balbutiements. Voici pourtant dix années que le monde de l’entreprise s’est emparé des sujets de diversité et d’inclusion. En France, désormais, il n’existe plus un service ressources humaines, plus un comité de direction qui ne soit – a minima – sensibilisé aux problématiques de genre, d’intersectionnalité ou encore aux différentes formes de parentalités. Si ces thématiques vivent en interne, rares sont les entreprises à même de revendiquer une politique à 360 degrés, c’est-à-dire prenant en compte le sujet de l’inclusion à tous les niveaux de l’entreprise : depuis le recrutement de nouveaux entrants jusqu’au quotidien de la vie de l’entreprise. En ce sens, la thématique des achats est assez révélatrice.
Tiers certifiant et engagement des fournisseurs
Premier constat : s’il existe des indicateurs permettant d’instaurer une politique d’achat alignée avec la politique mondiale de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, il n’existe aucun indicateur permettant d’assurer la mise en place d’une stratégie d’achats inclusifs. D’où la très grande difficulté à dresser une liste de fournisseurs divers. En effet, au-delà du respect de la RGPD, il est formellement interdit de lister des fournisseurs selon leur genre ou leur orientation sexuelle. Tout au plus, il est possible d’identifier des entreprises engagées sur la thématique de l’inclusion. « Si pour identifier des entreprises détenues par des femmes, il suffit de s’attacher au capital détenu ( plus de 51 % du capital de l’entreprise détenu par une femme, par exemple), aller référencer des sous-traitants ou fournisseurs sur l’aspect LGBT+ en Europe est beaucoup plus compliqué », constate Jean-Louis Carvès. Outre-Atlantique, l’identification de fournisseurs divers peut se faire grâce à l’existence de tiers certifiant, a l’instar de la « National LGBT Chamber of Commerce » créée dès 2002 à Washington. En Europe, certaines initiatives émergent, notamment au Portugal et dans les pays nordiques, tandis que la création d’une chambre de commerce LGBT européenne est aujourd’hui en réflexion. Dans l’attente de labels, il faut donc porter une attention toute particulière aux engagements des entreprises : « cela peut être la signature de la Charte d’Engagement LGBT+ de l’autre cercle, ou encore un partenariat avec Têtu Connect. Par ailleurs, un réseau tel que WEConnect International peut être une source non négligeable de renseignements », détaille Jean-Louis Carvès.
En l’absence d’indicateurs ou de tiers certifiants, il faut porter attention aux engagements des entreprises
Embarquer l’ensemble de l’écosystème
Au sein de la direction Achats d’IBM, la question d’une stratégie inclusive quant au choix des fournisseurs s’est posée dès le début des années 2000, d’abord aux États-Unis puis en Europe. « Nous avons établi une liste de fournisseurs inclusifs : entreprises détenues par des femmes, entreprises LGBT + friendly, ou employant des personnes en situation de handicap. Nous sommes allés plus loin en incluant à cette liste le secteur du travail protégé et adapté (STPA) qui, en France, n’est pas pour l’heure reconnu comme un fournisseur divers. Tout cela a pris beaucoup de temps. A titre d’exemple, il a fallu convaincre les fonctions commerciales et administratives que le secteur STPA pouvait entrer dans cette liste. Nous avons établi une charte éthique des fournisseurs et menons régulièrement des audits », précise Jean-Louis Carvès, qui souligne l’importance que ce sujet soit porté en interne par une personne spécifiquement nommée et en charge d’objectifs concrets. Le groupe a créé un poste dédié au sein de la direction achat pour couvrir ces problématiques pour la zone France et Benelux. Autre impératif : embarquer toute la chaîne de valeur, depuis les fournisseurs jusqu’aux sous-traitants. « Ce n’est pas toujours chose aisée, notamment pour les entreprises qui opèrent en B to B to B. Cependant, en organisant des séminaires de sensibilisation dans les pays où nous sommes présents, il est possible, petit à petit, de faire bouger les lignes », conclut Jean-Louis Carvès.