Depuis 1909, date de la création du premier congé maternité en France, la loi en matière de parentalité a beaucoup évolué. Une évolution néanmoins laborieuse, puisqu’il faudra attendre 1970 pour que le congé maternité soit rémunéré. A l’été 2021, l’accès à la PMA a été élargi à toutes les femmes cisgenres. Quelles répercussions ont ces évolutions législatives sur les entreprises et collaboratrices et les collaborateurs qui y travaillent ? A l’occasion de son webinaire « accueil de toutes les parentalités, où en sommes-nous ? » têtu•connect a réuni un panel d’experts et de personnes concernées.
Par Chloé Consigny
Quand le désir de famille se confronte aux limites du droit
Du point de vue du droit, qu’est-ce qu’une famille ? « Au sens du droit, la famille repose sur deux piliers : l’alliance et /ou la parenté. C’est-à-dire que deux personnes sont unies par un lien de famille s’il existe entre elles ou un lien d’alliance ou un lien de parenté. Le lien d’alliance est créé par le mariage, et non par le PACS. Ce lien de famille est horizontal, il lie deux personnes entre elles ainsi que leurs ascendants, frères et sœurs. A cela s’ajoute le lien de parenté : deux personnes forment une famille si un lien de parenté les unit. C’est-à-dire que deux personnes non mariées qui ont un enfant font famille. En revanche, en l’absence de lien d’alliance, il n’y a pas de lien entre les parents et leurs familles respectives. La famille est constituée sur la base de l’enfant », explique Anne-Sophie Brun-Wauthier, enseignante chercheuse en droit, Maître de conférence à l’université de Grenoble (Grenoble University).
De parenté à parentalité
Quid des autres cas et notamment des parents LGBTQI + ? « Le droit distingue la parenté de la parentalité. Si la parenté désigne une filiation et inscrit l’enfant dans une généalogie, en droit, la parentalité reconnaît à l’un des deux parents un rôle éducatif assorti de droits et de devoirs. Longtemps, c’est cette distinction entre parenté et parentalité qui a été utilisée en droit pour les couples homosexuels », poursuit Anne-Sophie Brun-Wauthier. Une première évolution à lieu en 2013 avec la loi permettant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels. En 2021, la parenté est reconnue davantage encore avec l’accès aux couples de femmes à la procréation médicalement assistée (PMA). Pour les couples de femmes lesbiennes, la mère qui n’accouche pas de l’enfant peut être reconnue mère par l’établissement d’une reconnaissance préalable conjointe réalisée devant notaire. Grâce à ce document, l’officier d’état civil pourra inscrire les deux mères en parentalité de l’enfant.
Inscrire les enfants conçus par GPA dans une parenté
Reste la question de la GPA. « La gestation pour autrui est interdite. Qu’importe le cas dans lequel elle est sollicitée : couple hétérosexuel, homme seul, couple d’hommes, la GPA est interdite sur le sol français », souligne Anne-Sophie Brun-Wauthier qui ajoute « néanmoins, ce qui est interdit en France est permis dans d’autres pays et les enfants conçus au terme d’une convention GPA qui reviennent en France doivent être inscrits dans une parenté. Le droit français a donc d’une certaine manière « cédé » en acceptant que la filiation soit établie à l’égard de ceux que l’on appelle les « parents d’intention », à la condition toutefois que la GPA ait été valablement réalisée dans un État qui ne la prohibe pas ». Un véritable parcours pour les aspirants à la parenté, comme l’explique Florent Rispoli, Global VP Human Resources, ACCOR, « J’ai toujours eu un projet de famille. Avec mon mari, nous avons regardé toutes les options et notamment l’adoption. Nous avons très vite compris qu’en tant que couple homosexuel, notre dossier n’arriverait jamais en haut de la pile », explique-t-il. En France, moins de 0,1 % des couples homosexuels arrivent aujourd’hui au bout d’une procédure d’adoption. Face à ce constat, Florent et son époux décident de se tourner vers la GPA. « La première question est financière. La GPA constitue un coût énorme pour les couples et donc une discrimination importante. Le second sujet est le choix du pays. Nous nous sommes tournés vers les Etats-Unis qui offrent à l’ensemble des parties prenantes un cadre strict et sécurisé : à la fois pour la donneuse d’ovocytes, la femme porteuse, les parents et l’enfant. Pour l’heure, nous avons rencontré la femme porteuse et sa famille. Lorsque nous rentrerons en France, nous serons confrontés au droit et aux démarches à effectuer pour « légaliser » notre enfant », détaille-t-il.
Un congé accueil de l’enfant de dix semaines
Son expérience n’est pas sans incidence sur son travail en entreprise. « En tant que directeur ressources humaines chez Accor, j’étais doublement concerné par le sujet. Jusqu’à janvier 2022, il n’existait pas, chez Accor, de congés d’accueil de l’enfant. Ma situation personnelle m’a amené à me poser des questions. Il était assez évident que j’avais besoin de temps pour accueillir mon enfant. Nous avons intégré un article parentalité qui offre aux couples de même sexe un congé accueil de l’enfant de dix semaines, soit une durée un peu équivalente au congé post natal », explique-t-il. Pour l’heure, ce congé s’applique aux collaborateurs du siège monde, soit environ 2000 personnes. « Notre ambition est de pouvoir ensuite l’étendre à l’ensemble des marques du groupe », ajoute Florent Rispoli.
Être père et grand-mère en même temps
Faire famille, c’est aussi accompagner les changements des membres d’une même cellule familiale. Beatrice Denaes est journaliste, enseignante et conseillère pédagogique à l’école de journalisme de Sciences Po-Paris. Dès l’âge de quatre ans, elle ressent sa transidentité. Il lui faudra ensuite de longues années pour réaliser sa transition sociale et médicale. « Arrivée à l’âge adulte, je voulais fonder une famille. Ce n’était pas facile, je me posais des questions : étais-je un garçon, une fille, étais-je un monstre ? ». Lorsque son épouse est enceinte, elle vit la grossesse par procuration « avec l’énorme tristesse de ne pas être celle qui donne la vie », se souvient-elle. Ses deux enfants, aujourd’hui âgés de 37 et 39 ans, naissent avant sa transition et l’appellent « papa ». Le premier de ses petits-enfants naît durant sa transition, le second une fois sa transition achevée. Tous deux l’appellent « dada ». Administrativement sa transition est effective, sur ses papiers d’identité, elle est Béatrice, de sexe féminin. Quid, en revanche, de sa filiation ? « Je ne me suis pas lancée dans un combat pour le livret de famille ou les actes de naissance de mes enfants. Néanmoins, cela pose une vraie question. Je suis aujourd’hui présidente de l’association TRANS-SANTE France. Cette association comprend de nombreux jeunes parents. Ces personnes souhaitent être reconnues mères ». Le droit laisse-t-il la possibilité aux personnes ayant réalisé leur transition de corriger le livret de famille ? « Le législateur n’a pas organisé toutes les conséquences du changement de sexe à l’état civil. Il y a un vrai hiatus pour des personnes qui souhaiteraient que les actes de naissance précédents soient conformes à leur genre actuel. Pour l’instant cela n’est pas possible. Il existe néanmoins des accords avec les procureurs de la République pour qu’il y ait une rectification sur les actes d’état-civil. Cela dépend notamment de l’âge des enfants. Il n’est en effet pas possible de modifier un prénom ou un nom sans le consentement de l’enfant », conclut Anne-Sophie Brun-Wauthier.
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