Pour François Bitouzet, être soi-même au travail est une évidence. Tout au long de sa carrière - depuis PublicisLive France, à VivaTech (salon Tech européen créé par Publicis et le Groupe Les Echos), en passant par Voyages.sncf - il a toujours été out dans son environnement professionnel. Un engagement qu’il porte toujours haut et fort et insuffle à l’ensemble de ses équipes. Sur recommandation du réseau 50inTech*, têtu•connect a eu la chance de le rencontrer. Interview.
Par Léa Taïeb
Vous avez récemment illustré dans un post LinkedIn votre “fierté d’être out” en arborant un costume et chaussé de bottes roses pailletées. Quelles sont les coulisses de cette publication?
À l’occasion du Pride month, Publicis France a proposé à ses collaborateur·ices LGBTQI+ et allié·es (issu·es de différents métiers, de différentes agences, à différents niveaux de management) de prendre la parole sur une fierté. J’ai tout de suite accepté de participer. Parce qu’aujourd’hui, j’ai 45 ans, ma carrière est lancée, et, quand j’avais la vingtaine, j’aurais apprécié ce genre de prise de parole. J’ai trouvé amusant de provoquer un contraste en posant en costume de travail et en plateform shoes roses à paillettes. Je ne m’attendais pas à ce que cette publication fasse autant parler (en bien, évidemment) !
À travers cette publication, je tiens aussi à rappeler que la LGBTQIphobie est encore présente. Non, nous ne vivons pas encore dans le meilleur des mondes : il y a encore du travail, il y a encore des personnes qui sont victimes de discriminations et d’agressions.
Jeune actif, vous avez décidé d’être out dans votre vie professionnelle. Quel a été le déclic ?
J’ai grandi dans les années 80 et 90 dans une ville de l’Allier, un endroit idéal pour grandir. Mais, adolescent, quand j’ai pris conscience que j’étais homosexuel, je me suis senti totalement seul et en grande détresse, et, surtout, je me suis tu. À l’époque, il n’y avait pas encore Internet pour se rapprocher de personnes vivant la même situation ou pour se confier à d’autres. Heureusement, au moment de mes études à l’ENS (Ecole Normale Supérieure), j’ai vécu un moment de bascule. Je vivais alors à Paris et j’ai rejoint des associations de jeunes gays et lesbiennes. Après avoir souffert en silence pendant mon adolescence et après avoir vécu cette libération, j’ai pris la décision que j’assumerai qui je suis, que je ne resterai pas dans le placard dans ma vie professionnelle. Depuis 2001, cette décision est inchangée.
Vous avez commencé à travailler au début des années 2000. À ce moment-là, le monde de l’entreprise n’était pas du tout sensibilisé à l’inclusion des personnes LGBTQI+. Comment avez-vous vécu vos premières expériences professionnelles en étant out ?
Je n’ai jamais choisi un secteur d’activité en fonction de son ouverture d’esprit présumée. Je n’avais aucune envie de renoncer à mes rêves à cause de l’homophobie de certaines personnes. Mais, avant de rejoindre une entreprise, je me suis toujours assuré que je pourrais m’y sentir bien. Par exemple, en entretien, j’ai pu poser la question (de façon plus ou moins subtile) : je suis gay, est-ce que c’est quelque chose qui peut poser problème ? Après une telle question, les choses sont assez claires pour le recruteur, les cartes sont posées.
Avec mes collègues aussi, j’ai toujours été très clair. Je n’annonce pas non plus mon homosexualité, je suis simplement factuel. Il y a quelques années, un collègue m’avait demandé si j’avais des enfants et j’avais répondu : “non, la loi française ne m’y autorise pas”. Je réalise aujourd’hui que cette réponse peut sembler un peu abrupte !
Je tiens néanmoins à rappeler que c’est à chacun de faire en fonction de ce qu’il pense être bon pour lui, de ses envies, de ses forces, ainsi que de ses fragilités. On s’écoute, on se préserve aussi. C’est une réussite de connaître ses limites, de ne pas se faire violence, de se dire : “ils n’auront pas mon talent”.
Au moment de mon premier stage, je n’ai pas évoqué mon homosexualité pendant l’entretien. Mais, en présence de mes collègues, j’ai toujours assumé le fait que j’étais en couple avec un garçon. Comme tout le monde, je racontais mon week-end sans m’inventer une autre vie.
Aujourd’hui, vous êtes à la tête de VivaTech. Dans l’écosystème Tech, quelles sont les tendances D&I qui se dégagent ?
Comme n’importe quel secteur, je n’ai pas l’impression que le monde de la Tech soit plus ou moins homophobe qu’un autre. Comme dans n’importe quel milieu, il y a des personnes homophobes qui créent des situations discriminantes. Et, c’est inacceptable. Mais, dans ce secteur, la prise de conscience a été très précoce. Très vite, des grands groupes américains comme Google, Apple, Facebook ont pris le taureau par les cornes et ont mis en place des actions concrètes pour lutter contre toutes les formes de discriminations et pour sensibiliser l’ensemble de leurs équipes. Ces pionniers de la diversité et de l’inclusion ont impulsé une dynamique qui inspire non seulement les jeunes pousses de la Tech mais aussi tous les autres secteurs d’activité.
Aussi, depuis quelques années, les fonds d’investissement accordent de plus en plus d’importance à la gouvernance, aux valeurs, aux actions concrètes mises en place dans les start-up. En réaction (et pour lever des fonds), dès leur création, les jeunes entreprises s’intéressent à ces sujets et déploient des stratégies pour, par exemple, diversifier leurs recrutements. Dans d’autres secteurs, l’enjeu du financement est moins présent donc implique moins d’efforts de la part des personnes qui entreprennent.
Selon vous, quelles actions doivent encore être mises en place dans la Tech pour l’épanouissement de toutes, peu importe son identité de genre, son orientation sexuelle ?
Je pense qu’il est nécessaire de sensibiliser les managers pour qu’ils soient capables de décrypter des situations de harcèlement, des discriminations pour agir en conséquence. Selon moi, les entreprises doivent se doter d’une structure d’accompagnement pour répondre à la détresse de leurs employé·es harcelé·es.
Nous assistons aujourd’hui à une véritable guerre des talents : les entreprises se démènent pour attirer et retenir les meilleur·es. Dans ces conditions, les organisations qui hésitent encore à se positionner en matière de diversité et d’inclusion prennent le risque de ne plus attirer les nouvelles générations, de ne plus recruter. Jusqu’à quand pourront-elles tenir ?
En tant que directeur général de VivaTech, plus grand événement Tech européen, comment créer un événement à l’image de la société et de ses diversités ?
Comme depuis plusieurs années, nous allons continuer à travailler sur la question de l’inclusion des femmes dans la Tech. Les “startuppeuses” sont encore trop minoritaires. C’est la raison pour laquelle, nous nous engageons encore et toujours pour que davantage de femmes entreprennent dans le digital et qu’elles aient toute leur dans cet écosystème. Cette année, nous avons invité à VivaTech plus de 2000 jeunes filles, collégiennes, lycéennes, étudiantes pour qu’elles découvrent les métiers de la Tech et qu’elles aient confiance en elles pour se les approprier. Nous mettons aussi en place chaque année le Female Founder Challenge. En association avec 50inTech, ce challenge valorise l’entrepreneuriat féminin et favorise de manière concrète la mise en relation avec les investisseurs.
Nous invitons chaque année des rôles modèles à venir s’exprimer sur nos scènes pour susciter des vocations et nous avons à cœur de faire le lien entre les jeunes diplômés et nos nombreux partenaires. VivaTech est également un vivier de talents qui n’attendent qu’à être découverts.
*50inTech est une plateforme d’accélération de carrières des femmes dans la Tech